“APOCALYPSE JU NO”

“… Notre premier confinement …”
“L’histoire d’un couple assigné à demeure avec son pire ennemi : son mélange ADN de 16 mois…”

… écrivais-je le 15 mars 2020… À l’aube d’un printemps entre quatre murs… Je commençais alors cet étrange sacerdoce, ce journal de bordure intérieure, qui m’a ancré dans le quotidien confiné tout en m’en prodiguant une bouée.

De la réduction des stimuli vers une épure stimulante…

Pour être honnête, avec Audrey, on connaissait déjà ces filtrats du réel qui accompagnent l’arrivée d’un nouvel être : l’arythmie, l’usure quotidienne, le  cloisonnement, l’isolement relationnel… Depuis sa naissance, on n’aura finalement été déconfinés que 6 mois ; de la crèche, en Septembre, à l’infiltration du virus, en Mars… Force fut de constater que la mignonne petite larve s’y était transmutée en  une exploratrice téméraire, très touchante de curiosité mais farouchement inconsciente, et qui sans surveillance, aurait un temps de survie d’à peine quelques minutes… Une tension continue qu’il a fallu contenir de l’intérieur…

Et sans doute sommes nous parvenus à éviter l’implosion grâce aux 2 sas ritualisés qu’elle nous prodigue quotidiennement durant ses phases de sommeil. Car Juno est  un bébé dormeur, dont les nuits de 10 à 12 heures sont de salvatrices armistices  qui camouflent à peine leur corollaire; son temps d’éveil est placé sous le  signe d’une énergie furibonde qui semble ne connaître aucune limite, et où la sieste n’est qu’une une option à la durée variable.

Aux contritions du temps se sont incluses celles de l’espace et de l’énergie…

C’est donc très paradoxalement que je me suis inventé, dès le premier jour du confinement, cette contrainte d’une planche quotidienne, ainsi que le challenge discret d’optimiser l’instant, tandis qu’il est transmuté en longue durée.

J’y ai  instinctivement pris le parti de l’épure, afin de me lover au mieux dans les contraintes imposées par une réalité réduite. Car si je m’en suis arrangé, tout indiquait que je n’aurais pas le loisir d’une apnée créatrice en profondeur, et que plutôt que de nager à contre-courant, il serait plus sage d’en extraire sur la longueur de multiples fulgurances. En me laissant flotter, à la surface, dans une stase patiente et de longue haleine.

À l’instar des nivelages sus-cités, il y a eu aussi celui du matériel… Comme un «pavé dans l’amarre » qui a introduit le choix du faire-avec, dans une résilience apaisée et toutefois cathartique. J’aurais très bien pu passer à mon atelier, pas bien loin, mais le champ des possible incombé par ce réel confiné m’est apparu comme une sorte de performance stimulante; les contraintes imposées d’office par une réalité, fut-elle sournoise, sont un bon choix quand on les accepte. « Mine de rien »…

Et tandis qu’il n’y en n’avait plus le moindre pourvoyeur, je réalisais que la pénurie d’outils-scripteurs pointait… Il allait falloir se tenir, sur les hachurages intempestifs qui densifient l’espace en le rythmant, ainsi que sur les longues démonstrations graphiques et laborieuses (qui camouflent généralement une absence de propos narratif). L’inventaire fut rapide : Deux demi boîtes d’aquarelle (vidées donc de mes couleurs de prédilection)… Des feutres… Quelques fonds de peinture acrylique… Pas mal de pinceaux usés… Et « La Boîte » : tombeau en carton, purgatoire officiel  des vieux stylos mis au brancard mais que je ne me résous pas à jeter… Les racleux, les baveux, les souffreteux qui ont perdu la fluidité abondante de leur jeunesse, mais proposent toutefois une trace, qui quoique désagréable à poser, s’accroche singulièrement au support. Je remis toutefois la main sur quelques précis-précieux feutres indélébiles, au flux régulé et agréablement glissants…

C’était sans compter le support qui m’attendait : Un socle fragile… Depuis quelques mois, il y avait ce bon gros bloc que je regardais en biais : Format-Paysage, A3, relié… J’avais été attiré initialement par son épaisse couverture au noir mat tramé, d’où se dégageait une densité puissante, avant de découvrir la poreuse fragilité de ses feuilles : Un papier qui fricote avec le buvard, qui boit l’encre, avale les pigments, et qui semble ensuite les recracher dans une redistribution aléatoire. Un papier qui se fonce au contact de l’eau de telle sorte qu’on n’y voit pas ce qui s’y passe jusqu’au séchage et qui impose de tracer vite si l’on veut la ligne fine… Un papier dont je me méfie tout en y revenant rituellement, fasciné par la forme qui s’échappe pour souvent mieux y saisir un propos…

Un Commentaire

  • l'heveder jacqueline dit :

    Un régal, que des mots puissent alléger cette chape de plomb qui nous a couverts, que ce petit bout d’être en soit le fil conducteur, j’en suis ravie.

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