Cette banane scotchée à un mur vous dit forcément quelque chose. C’est certainement la banane la plus célèbre au monde. Et pour cause, elle a fait le tour du monde au point de faire la une de nombreux journaux.

Il s’agit d’une oeuvre, exposée à la foire d’Art Basel à Miami du nom de Comedian par l’artiste Maurizio Cattelan. Si cette oeuvre a fait parler d’elle, c’est parce qu’en plus d’être un fruit estimé à plus de 120 000 $, cette banane a été mangée au plein milieu du salon par un visiteur en quête d’un petit « casse-dalle » le 7 décembre 2019.

 

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Suite à cela, beaucoup de médias se sont emparés de ce fait divers pour le moins unique, jusqu’à en devenir un véritable outil marketing surfant sur ce « buzz » (comme disait ce cher Nikos). Par conséquent cette banane a beaucoup fait parler d’elle. Au point qu’une question est revenue souvent

Sous entendu, « c’est vraiment devenu n’importe quoi l’art (contemporain)… ». Certes cette question est tout à fait légitime, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’elle soulève une thématique plus globale qui mérite d’être développée. Afin de répondre à cette question, replaçons-nous un peu dans le contexte.

Né à Padoue le 21 septembre 1960, Maurizio Cattelan est l’un des artistes contemporains les plus célèbres, notamment pour son sens poussé de la provocation et de la dérision. Cattelan aime jouer avec le monde actuel pour le critiquer et provoquer les grandes instances, tout comme l’art lui-même au travers de ses créations.

Il créé en 1999  une oeuvre appelée la Nona Ora, représentant une sculpture en cire du pape Jean Paul II qui se fait écraser par une météorite. Toujours dans la provocation, il crée America, soit des toilettes en or massif de 18 carats, totalement fonctionnelles, présentées comme une critique des excès de richesses des Etats-Unis et du 1% de personnes plus riches que le reste de la planète (œuvre qui a d’ailleurs été volée).

Dans une volonté de critiquer également l’art en soi et son marché, Cattelan met en place la Wrong Gallery, une galerie jamais ouverte où rien ne se vend. Suite à la vente sans son consentement de la Nona Ora par son collectionneur, il ira jusqu’à littéralement scotcher son galeriste Massimo De Carlo au mur d’une galerie afin qu’il se vende lui-même.

Paradoxalement, bien que Maurizio Cattelan oriente principalement ses œuvres vers la critique et la dérision du monde actuel et de l’art lui-même, il en devient un des acteurs les plus importants, comme nous le montre l’œuvre qui nous intéresse : Comedian.

Comedian, de par sa simplicité et son coût, n’est pas une oeuvre anodine. L’idée que cherche à montrer Maurizio Cattelan au travers de cette banane scotchée d’une valeur de 120 000$, c’est encore une fois de critiquer le monde de l’art et surtout son marché et ses prix obscènes. Tout comme pour ses oeuvre précédentes, Maurizio Cattelan cherche encore une fois à choquer et à se questionner. Parce que oui, même dans le monde de l’art contemporain, une banane scotchée à un mur, ça surprend !

Comme l’explique Fabrice Bousteau (directeur de la rédaction de Beaux-Arts Magazine) lors d’une interview, Cattelan cherche à définir ce qu’est une oeuvre d’art tout en critiquant son marché comme a pu le faire Duchamp avec son œuvre Fontaine (un urinoir inversé).  Ou encore Banksy, qui avait prévu un mécanisme caché dans un cadre pour détruire son œuvre Girl With a Ballon au moment de sa vente.

Et jusque dans sa conception aux allures très simplistes, Comedian va même jusqu’à provoquer les acheteurs potentiels de l’œuvre. Parce qu’après tout, qui a envie d’une œuvre que l’on doit remplacer tous les 3 jours parce qu’elle moisit ? Le but de Maurizio Cattelan est de choquer et de forcer le public à se poser des questions. Mais ça ne s’arrête pas là.

C’est maintenant qu’intervient David Datuman. Ce nom ne vous dit sûrement rien, mais pourtant vous le connaissez déjà : il s’agit du mangeur de banane ! Seulement David Datuman n’est pas n’importe qui. En effet, lui aussi est un artiste habitué des performance artistes. L’oeuvre de Cattelan a été tellement provocante qu’elle a poussé David Datuman à se l’approprier en la mangeant afin d’en faire une nouvelle œuvre, appelée Hungry Artist. Tout comme l’artiste Pierre Pinoncelli avait uriné dans l’urinoir de Duchamp, alors exposé au Carré d’art de Nîme.

Légitimement on pourrait se demander : « et Cattelan dans tout ça, il doit être dégoûté que son œuvre ai été dégradée ! ». Eh bien, pas du tout, même tout le contraire. Simplement parce que l’oeuvre n’est pas juste cette banane scotchée, mais surtout l’idée qui a été étendue grâce à la performance de Datuman. Cette idée qui vise à critiquer le monde de l’art et son marché aux prix aberrants, tout en montrant ce qui vaut le plus cher au monde : les idées.

Déjà,  l’art appartient à toutes et tous. C’est à chacune et chacun de se l’approprier (même comme a pu le faire David Datuman) afin d’en ressortir différent. Parce que oui, c’est ça le but de l’art, vous faire vous poser des questions, réfléchir, ressentir des choses pour en sortir changé. L’art ne se limite pas à la technique, ce n’est pas parce qu’un(e) artist(e) utilise une technique de peinture ou de sculpture extrêmement complexe que ça en fait un œuvre intéressante.

L’art ce n’est pas la complexité de la technique, c’est l’idée.

À partir du moment où une œuvre vous a fait ressentir quelque chose ou vous poser des questions (peu importe lesquelles), alors le but de l’oeuvre et de l’artiste est atteint. Entre le moment avant de voir une œuvre et l’instant d’après, vous avez changé (même subtilement) et ceci grâce à l’art.

Donc pour répondre à la question initiale de tout ce charabia :

Mais c’est à vous de décider la place qu’il peut prendre dans votre vie, et l’effet qu’il aura sur vous. Parce qu’après tout, ce qui fait aussi la beauté de l’art, c’est qu’il est à 99.9% subjectif. Donc ce qui compte, ce n’est pas que vous aimiez ou non une œuvre, mais plutôt quel effet elle a sur vous.

N’oubliez pas que même à son époque, Van Gogh par exemple n’était pas du tout accepté et reconnu pour son art.

Avant de juger une œuvre, demandez vous quel est le but de l’artiste, que veut-il nous transmettre. Et n’oubliez pas que si une œuvre vous fait réagir, vous questionner, au point même de se demander si c’est bien de l’art,  alors c’est qu’elle a réussi son but premier, à savoir vous faire ressentir quelque chose.

Merci à vous si vous avez réussi à tenir jusqu’au bout de ce pavé ! Si jamais vous souhaitez en savoir un peu plus sur l’art, notamment contemporain, je vous invite à aller voir la chaîne youtube Art Comptant Pour Rien.

Florian Jacquet

Florian Jacquet

Graphiste - Webdesigner et artiste à mes heures perdues. Créateur de la Revue Fragile.

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5 Commentaires

  • Sophie Chambon dit :

    J’adore ton article et les questions posées. Pardon, si je te tutoie ami lecteur et écrivant.
    C’est un vrai sujet, actuel et (pardon ) médiatique tout de même . Je remarque que Cattelan n’ est pas tout jeune, il s’est inscrit dans un courant conceptuel, novateur voire révolutionnaire à l époque ….c’est la queue de la comète ….Aujourd’hui, qu’en pensons nous ? Unr banane me renvoie à la pochette de Warhol du Velvet. Post moderne le Cattelan …
    Ça me fait sourire le pape écrasé par une météorite …mais je ne garderai pas grand chose de cette sculpture installation. Ceci dit le tableau devant lequel il se place n’est pas un contre exemple de ce qui serait l ‘art, le vrai!. En fait il est fort possible que je passe devant l’un et l’autre sans trop m’arrêter ….
    Très honnêtement la tendance actuelle de juxtaposer oeuvres anciennes et tentatives contemporaines …dans les grands musées n’a pas un énorme impact sur le public qui photographie tout, sans discrimination en voulant faire à son tour quelque chose du spectacle proposé. Et après tout pourquoi pas?

    A suivre….😘

    • Merci beaucoup pour ton message ! Aucun souci pour le tutoiement, je me permets aussi !
      En effet, c’est la médiatisation de cette fameuse banane qui m’a donné envie d’écrire quelques lignes à ce sujet.

      Justement, l’art contemporain a tendance à vouloir prendre à contre pied l’art plus « traditionnel » et la manière de le consommer. Notamment parce que cette forme d’art aborde ses œuvres d’une manière différente, à savoir mettre en avant l’idée et le questionnement avant la forme. Ce qui fait que beaucoup d’œuvres contemporaines ne sont pas dites « belles » (au sens premier). Contrairement à d’autres œuvres plus « traditionnelles », qui vont souvent miser sur ce sentiment premier de beauté pour attirer le public (sans jugement, juste un constat), qui va ensuite en soutirer les idées. Mais je m’égare, il faudrait peut être un nouvel article pour en parler !

      Evidemment, que telle oeuvre nous marque ou non, cela dépend seulement du ressenti de chacun. Mais si déjà elle fait sourire, ou fait ressentir un autre sentiment, alors c’est que l’oeuvre a réussi son but.

      En tout cas je suis ravi que ces quelques lignes permettent de faire un peu réagir et se questionner !

  • Laure-Anne Fillias-Bensussan dit :

    Très bien expliqué en effet, merci, donc, et aussi bravo pour le design du site !
    Mais pour être honnête, le concept, le concept, on a compris, ça va bien 5 mn, oui l’idée, c’est sûr, mais justement depuis Duchamp, on a compris. Soulages aurait-il fait son chemin rien qu’en ayant une idée de la lumière portée par le noir? Bill Viola avec une certaine idée des surgissements? Ils y auraient gagné des siestes et des grasses -mats! Mais nous on n’aurait rien eu à manger, ni à VOIR.
    Oui la beauté, l’interaction des formes et des émotions c’est personnel et subjectif mais est-ce que tout se vaut? Que vaut l’idée qui n’a pas pris la peine de germer en labourant une forme? Car la forme porte en elle-même à la fois sa source (l’idée, pour dire vite) , son processus de quête (son heuristique) et son résultat, l’oeuvre, cet objet gratuit, ce pont entre les humains via leurs perceptions diffuses de ces trois étapes incarnées dans une création.
    La banane comédienne et son contrat d’achat (un leasing de voiture en qq sorte) me fait marrer cinq minutes, mais j’ai des doutes quant à l’obtention de l’effet escompté : les gens qui ont la chance de s’intéresser à l’art connaissent la problématique depuis longtemps, s’en gavent ou s’en lamentent, et ceux qui se tiennent à distance de l’art contemporain dans l’incompréhension resteront sur leur faim, n’ayant pas le culot ni l’assurance des nantis de culture de manger la banane impunément … et de quoi seront-ils nourris ?
    J’espère qu’au moins la banane était bio !
    Ceci pour réfléchir ensemble, et non pour polémiquer, j’espère que c’est bien clair….

  • Sophie Chambon dit :

    Oui, la beauté, le ressenti, l’ émotion qui surgit et qui peut nous renvoyer à notre histoire… L’ idée évidemment… Mais même si l’ idée a pris forme par le travail….encore que le hasard et les accidents y soient aussi pour quelque chose…. y compris pour Soulagés….ne pas se laisser enfermer dans un système, lutter, travailler encore….chercher encore….
    C’est ce qui fait pour moi la valeur ajoutée 😘 de certains artistes….

  • Pierre Hélène-Scande dit :

    C’est de l’art, certes, mais une œuvre d’art est-elle forcément intéressante parce que c’est de l’art ? N’y a-t-il pas des œuvres banales, ennuyeuses, inutiles, mauvaises, ratées, voire toxiques ? Faire de l’art, le garant d’une valeur, n’est-ce pas esquiver la question de la valeur propre de l’œuvre ? Et sur quoi se fonde cette valeur si être d’art ne suffit pas ?

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