La dissonance cognitive, mais c’est quoi donc ?


Vous avez sans doute au cours de vos vies eu à faire face à des individus convaincus de la véracité de faits absolument faux.

Pire encore, les gens semblent renforcer leurs croyances et les défendre avec acharnement lorsque des preuves accablantes tombent contre elles.

Si je vous affirmais aujourd’hui que le ciel est rose, me croiriez-vous ? Ceci est peu probable et pourtant certains d’entre vous me soutiendraient en toute bonne foi.

L’explication derrière ceci est le phénomène de dissonance cognitive qui intervient lorsque notre vision du monde nous semble menacée par des preuves factuelles qui ne vont pas dans son sens.

Pour trouver une porte de sortie acceptable notre cerveau choisit le plus souvent de renforcer sa croyance initiale. Ce qui a pour conséquence de rendre l’opinion ou le souvenir encore plus imperméable à la contestation ou la modification développant ou renforçant parfois les semblants de conspirations, cette dernière partie est nommée l’effet de rebond (backfire).

Prenons pour exemples les créationnistes contestant les preuves de l’évolution comme les fossiles ou la génétique craignant que des forces séculières empiètent sur leur foi religieuse ou encore  les  défenseurs  anti-vaccination se méfiant des firmes pharmaceutiques  pensant à raison ou à tort que l’argent corrompt la médecine.

La dissonance cognitive est donc ce phénomène faisant le pain bénit  des conspirationnistes, négationnistes et complotistes de tous horizons mettant à mal nos convictions.

 

En 1956, le psychologue Léon Festinger et ses co-auteurs ont décrit, dans leur ouvrage  intitulé L’échec d’une prophétie, ce qui est arrivé à une secte vouant un culte aux ovnis après que le vaisseau-mère extraterrestre attendu n’est pas arrivé à l’heure annoncée.

Au lieu d’admettre leur erreur, « les membres du groupe ont cherché frénétiquement à convaincre le monde de leurs croyances », et ils ont fait « une série de tentatives désespérées pour effacer cette dissonance entre leur croyance et la réalité en faisant de nouvelles prédictions après la prophétie initiale, dans l’espoir que l’une finirait par être la bonne ».

Festinger qualifia alors cet état de dissonance cognitive.

 

En 2007, Carol Tavris et Elliot Aronson (un ancien étudiant de Festinger) documentent des milliers d’expériences démontrant comment les gens déforment et sélectionnent les faits pour les adapter à leurs croyances préexistantes et réduire leur dissonance cognitive.

Leur métaphore de la « pyramide de choix » illustre comment deux individus ayant des positions proches – côte à côte au sommet de la pyramide – peuvent rapidement diverger et finir au pied de la pyramide sur des faces opposées, avec des opinions inverses, dès lors qu’ils se sont mis en tête de défendre une position.

Lors d’une autre  série d’expériences, Brendan Nyhan, de Dartmouth College, et Jason Reifler, de l’Université d’Exeter, ont tenté d’appréhender l’effet de  Rebond.

Les sujets d’une expérience recevaient par exemple des articles de presse fictifs qui confirmaient des idées fausses répandues, comme la présence d’armes de destruction massive en Irak. Puis on donnait aux participants un article qui démontrait qu’aucune arme de destruction massive n’avait été trouvée.

Les résultats furent les suivant : les sujets d’orientation libérale qui étaient opposés à la guerre ont accepté le nouvel article et rejeté les anciens, alors que les conservateurs qui soutenaient la guerre ont fait le contraire allant jusqu’à déclarer être encore plus convaincus de l’existence d’armes de destruction massive cachées.

 

Si les corrections factuelles ne font qu’empirer les choses, que pouvons-nous faire pour convaincre les gens que leurs croyances sont erronées ?

Adapter son comportement face à ses interlocuteurs, mettre ses émotions de côté, discuter avec respect, ne pas attaquer (pas d’attaque ad hominem ni de point Godwin), écouter et essayer  d’analyser la position de ses interlocuteurs avec précision, reconnaître pourquoi quelqu’un peut soutenir cette opinion divergente, essayer de montrer comment changer de vision des faits n’implique pas nécessairement de changer de vision du monde

Ces stratégies ne fonctionnent pas toujours pour convaincre les gens de changer de point de vue, mais en ces temps où il est devenu si courant de s’affranchir de la vérité dans le débat public, cela pourrait au moins aider à réduire les dissensions inutiles.

 

Maintenant vous savez.

 



Références 

  • David C Vaidis et Séverine G M Halimi-Falkowicz, La théorie de la dissonance cognitive: Une théorie âgée d’un demi-siècle, 2007
  • Festinger and Carlsmith’s original paper
  • Wegner, Daniel M., Schneider, David J., Carter, S.R. III, & White, T.L., « Paradoxical effects of thought suppression », Journal of Personality and Social Psychology, 1987
  • Wegner, D. M. (1994), « Ironic Processes of Mental Control », Psychological Review
  • Leon Festinger et Henry W. Riecken, Stanley Schachter, When Prophecy Fails: A Social and Psychological Study of a Modern Group that Predicted the Destruction of the World, University of Minnesota Press, 1956
  • Festinger, L. (1957). A theory of cognitive dissonance. Evanston, IL: Row, Peterson. Aronson advanced Festinger’s theory by showing that it is most powerful when the self-concept is involved; Tavris, C., & Aronson, E. (2007), Mistakes were made (but not by ME): Why we justify foolish beliefs, bad decisions, and hurtful acts. New York: Houghton Mifflin Harcourt.

 


Unnecessary Knowledge, la pastille de connaissance inutile qui vous permettra de briller en société et d’épater même vos amis les plus calés.

Mr. Jayden

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    3 Commentaires

    • Ariane Beth dit :

      Pour compléter cette réflexion sur le volet de la possibilité de dialogue avec les gens pris dans cette dissonance : je conseille la lecture de « Que faire des cons » sous-titré (et c’est essentiel) « pour ne pas en devenir un soi-même » de Maxime Rovère. Rovère est un philosophe traducteur de Spinoza, et dans ce livre il fait du spinozisme appliqué avec pragmatisme et humour.

    • Laure-Anne Fillias-Bensussan dit :

      Sans compter que même ceux d’entre nous qui nous voulons rationnels ne sommes jamais à l’abri de cette tentation de dissonance; l’expérience des armes irakiennes le montre; quand il s’agit de faits scientifiques établis par les sciences dures, mettant en jeu peu de jeu moins de chiffres et les statistiques que les analyses de biologie ou de sciences humaines, on peut suivre, sauf préjugé religieux ou idéologique quelconque. Mais dès qu’on passe à l’économie, à la sociologie, les sciences politiques, personne n’est à l’abri, et les hypothèses dont chacun se saisit, surtout quand elles impliquent des projections et propositions, sont celles qui impliquent une vision du monde au sens large, une croyance et le rapport qu’on a avec son propre statut. Beaucoup d’enfants votent comme leurs parents mais en plus extrême…
      La rationalité serait peut-être ici d’être conscient de l’existence de nos propres dissonances, et de leurs origines, et, surtout, d’écouter, et d’accepter de laisser du jeu dans notre système personnel de représentation.
      Merci pour la jolie proposition d’issue dialogique avec ce que je n’appellerais pas les cons, mais les apeurés.

    • Ariane Beth dit :

      Ecouter, (et s’écouter pour entendre ses propres dissonances en effet), laisser du jeu, oui c’est bien de cela que parle Rovère. Il désigne la connerie (concept fonctionnant en symétrie, celui que je trouve con lui me trouve con aussi) comme une « intempérie relationnelle ».

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