Ces petits riens…
À l’occasion de la sortie d’un film, retour sur un autre film en résonance avec lui. Il peut s’agir d’un film du même réalisateur, ou avec les mêmes acteurs, ou traitant du même thème ou d’un thème semblable. Il peut aussi s’agir d’un effet d’intertextualité, ou d’une correspondance formelle. Des petits riens… « c’est déjà beaucoup ».
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Hélène Vincent et Bob Marley
À l’occasion de la sortie de Hors normes, d’Olivier Nakache et Éric Toledano (2019)
En octobre 2014, Samba vient de sortir. Le nouveau film de Nakache et Toledano ne fait pas l’unanimité. La critique est impitoyable avec ces intouchables de la comédie populaire. Surtout la critique de gauche, qui dézingue le film, coupable de tous les maux : « conte poussif » pour Libération ; « rien que de la gentillesse, partout, tout le temps » pour Télérama, ou « élan d’optimisme » qu’il convient de « renvoyer [à son] irréalité » pour Les Cahiers du cinéma.
Et pourtant, une séquence absolument splendide dit quels cinéastes sincères, sensibles et fins sont Nakache et Toledano. Ici peut-être improvisée en partie, c’est une scène de danse comme on en voit souvent dans leurs films. Hélène Vincent joue Marcelle, une travailleuse sociale, ou une bénévole d’association humanitaire d’aide aux migrants et aux sans-papiers. Lors d’une fête qui réunit les principaux protagonistes, militants et bénéficiaires, on rit, on danse, on trinque, on fait des citations, on formule des vœux. Marcelle se montre déjà émue quand un des personnages raconte la parabole des éphémères, ces insectes qui ne peuvent pas s’empêcher de s’approcher des ampoules et de s’y brûler les ailes. Métaphore de tous les laissés pour compte attirés par les lumières de la société occidentale. Au tour de table, Marcelle fait deviner sa citation : « Combats le diable avec cette chose que l’on appelle l’amour ». Bouddha ? Jésus ? Gandhi ? Eh non : Bob Marley. Mais la scène culmine quand on danse sur du Marley, justement : Marcelle n’est plus toute jeune (bon, elle n’a pas « bientôt cent ans » comme la chambre le personnage d’Izia Higelin), mais connaît par cœur les paroles de « Waiting in vain ». Hélène Vincent fait passer la sincérité de ces petites gens, ces travailleurs de l’ombre modestes et géniaux, qui depuis des décennies côtoient et pansent la misère, l’ignorance, les violences, la détresse des démunis, et qui en Bob Marley ont trouvé un semblable, un frère, un compagnon de route, une figure tutélaire. Sur la piste de danse, Marcelle est jeune, solaire, heureuse, et c’est l’engagement de toute sa vie qui irradie, au milieu des autres.
Sans autre dialogue que les lyrics de Marley, Hélène Vincent a capté et exprimé cette solidarité des gens de terrain, leur humanité. Ce n’est pas juste de la gentillesse, cela n’a rien de poussif, et cet élan d’optimisme est on ne peut plus réel.
Comme quoi le cinéma, ça peut aussi combattre le diable avec cette chose!
Merci, c’est très exactement ce sur j’ai ressenti en voyant cette scène vibrante de sincérité, mélangeant les générations et les statuts sociaux. Hélène Vincent est dans la place, universellement symbole d’amour. Merci pour votre analyse.