Une Méthode

Isabelle Valode :

Je me suis habituée à une manière de faire, j’ai en quelque sorte mis au point une méthode. Pour peindre un tableau il me faut une dizaine de jours. Lorsque je commence, voyez-vous, je n’ai rien d’arrêté dans ma tête. Je contemple ma toile vide posée verticalement sur le chevalet et j’y inscris des traits au fusain qui, sur la surface, ébauchent des espaces, des mouvements… et je remplis ces espaces de couleurs acryliques. Celles-ci présentent l’avantage de sécher en vingt à trente minutes et elles peuvent revoir des charges comme de la poudre de marbre. Puis, je change l’orientation de la toile en la tournant vers la droite ou vers la gauche, et je dépose à nouveau des traits, esquissant de nouveaux espaces que je vais aussi remplir de couleurs. Je procède ainsi pendant six à huit jours, tournant et retournant ma toile.

Et en fonction des événements de couleurs que j’ai fait arriver et des insistances que je veux faire apparaître, j’incorpore par endroits de la poudre de marbre à la peinture en employant différentes tailles de grains selon l’effet que je vise. Ce faisant, j’enrichis le travail du trait et de la couleur d’une recherche sur la texture et, en même temps, le marbre me permet d’éteindre l’éclat agressif que jette une couleur acrylique. Et puis le marbre, c’est la pierre, et le contact de la poudre de marbre éveille en moi une émotion qui renvoie à mon enfance.

En effet, lorsque j’étais enfant, j’accompagnais mon père qui aimait faire des photographies dans les abbayes cisterciennes et les églises romanes. Il attirait souvent mon attention sur les caresses que la lumière posait sur les pierres, et comme il affectionnait les temps de pause longs, je m’absorbais dans la contemplation de la lumière qui, peu à peu, déclinait au cours de la journée. Plus tard, à sa mort, il a été enseveli dans une tombe couverte d’une dalle de craie, et avec le temps et l’usure, des fossiles sont apparus… Lorsque je rends visite à mon père, je caresse la dalle tout en regardant les fossiles, et ma paume garde le souvenir de la pierre douce, et mes yeux le souvenir de ces signes qui émergent de la pierre.

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