Le Mystère
Isabelle Valode : Enfin, au bout de huit à dix jours, j’aborde la phase finale du processus : je remplis d’eau une bassine et la projette sur la toile ! Comme je la regarde d’un air perplexe, Isabelle se met à rire, et ajoute : c’est un geste que je maîtrise à peu près, mais qui réserve toujours de belles surprises… Les mauvaises, je les évite en protégeant les parties que je veux conserver intactes. J’aime l’eau, je suis une « femme aqueuse » pourrait-on dire pour laquelle l’eau est une lumière solide, souple et puissante. Sa projection apporte un lissage des surfaces et laisse sur la toile une trace dynamique qui imprime un élan à toute l’oeuvre. A ce moment-là, je couche ma toile sur le sol, rassemble des tabourets autour et me juche tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre : je suis en quelque sorte sur une montagne du haut de laquelle j’observe le paysage.
Apparaissent ainsi, inévitablement, des coulures, des superpositions, des fusions, que j’exploite durant un ou deux jours : une fois que j’ai réussi à accomplir une architecture de formes esquissées, -mais pas plus ! si la forme devient trop ressemblante à une architecture ou à un paysage réels, je la gomme, je la brouille mais de manière à faire apparaître des formes non figuratives...
Moi : Vous accomplissez ainsi le travail que fait le Temps sur la pierre…
Isabelle : Exactement ! une fois, donc, que j’ai obtenu les qualités de couleurs et de textures que je désire, une fois que le monument ainsi construit est animé d’un mouvement, je laisse sécher le tableau de manière définitive.
En me penchant pour examiner une coulure qui émerge d’une fusion, j’aperçois soudain une portion de toile où se noue un enchevêtrement de couleurs et de textures, comme une petite tempête d’événements picturaux logée dans un coin du tableau. J’interroge l’artiste. Elle me répond : « Dans chacune de mes toiles, il y a un endroit où se tient le mystère, un endroit que je ne commente pas : vous y êtes. C’est un lieu où la parole doit céder le pas à la contemplation… »