Un autre fou des sons et de leur mesure, Erik Satie.

Un anti conformiste, un compositeur à part qui dénote dans l’histoire de la musique classique.

 

Erik Satie raconté par

Célia Houdart & Alain Huck

 

 

Erik Satie, la tête comme un cabaret.

Voilà un titre original, parfaitement adapté au cas Satie, car les arts populaires ont formé son goût : il vivait volontiers avec les pianolas , toute la mécanique des claviers et autres soupapes, au coeur du son et des progrès de la musique mécanique. Regardeur curieux de toutes sortes d’attractions, il aimait « tout ce qui communique avec la rue » : le caf ‘conc’ parisien en estompant les différences entre les genres était devenu un refuge.

Esprit dissocié, il fréquentait les apaches comme les princes du faubourg St Germain, donnait des cours de solfège aux enfants d’ouvriers, chef de l’orphéon d’Arcueil où il habitait dans un quartier de blanchisseurs. Cet excentrique garda sept ans son costume de velours côtelé  acheté en sept exemplaires, avant de passer au complet et chapeau melon additionné d’un parapluie. Il aimait pourtant passer inaperçu, lui qui se fâchait avec tout le monde.

On peut se tromper sur l’apparente simplicité de sa musique, légère et profonde, à la lisière des genres qui envoûte aujourd’hui alors qu’elle divisait à l’époque. Il est foncièrement un anti-classique dont les compositions ont peu à voir avec celles de ses contemporains. Plutôt un musicien pour musiciens, Varèse l’admire et le présente à Cocteau, John Cage l’aime d’amour, le premier à créer en 1963, les Vexations de 1893 , une unique phase musicale répétée 840 fois. Ravel joue la troisième Gymnopédie, vient expliquer aux musiciens de Parade en 1916 que sa partition qui utilise des coups de feu, un bouteillophone, une machine à écrire Underwood est de la musique. « Poulenc dit que Satie l‘a aidé à dégager les lignes de sa propre musique« .

De nombreux artistes et pas seulement des musiciens mais des écrivains, des peintres l’admirent et certains le veilleront jusqu’à son dernier souffle en 1925. « Le 1er juillet, il pose ses lunettes et son chapeau sur la table de nuit ».

Cette présentation volontairement rapide voudrait souligner tout l’intérêt de ce nouveau numéro de l’excellente collection Supersoniques des Editions de la Philharmonie de Paris à découvrir et  suivre dans toute sa diversité. Après Moondog, Robert Moog, Nina Simone… Erik Satie en est le huitième opus, raconté et illustré avec talent par Celia Houdart et Alain Huck.

L’auteur décrit subtilement les désordres d’un sacré personnage, bonhomme insaisissable, oxymore vivant : agité, haut en couleur, pétri d’ambitions, de névroses, d’addictions et de contradictions, au final tout à fait attachant. Un personnage hors norme dont la musique aux titres cocasses (Trois morceaux en forme de poire, Préludes flasques pour un chien, Idylles cyniques…) vient de nulle part, un être désespéré à l’humour des plus noirs.

Avec un sens des formules qui sonnent  dans un espace ouvert aux illustrations, Célia Houdart travaille de concert avec Alain Huck, tous deux se partageant les doubles pages dans une mise en scène qui est au delà de l’illustration purement décorative, suivant un code texte-image à part entière. Si le dessin prend quelque liberté avec la page, il privilégie dans un graphisme volontiers enfantin, les crayons de couleurs et le pastel : il y a de la folie jusque dans les lignes qui sortent parfois du cadre comme chez Prévert, voyagent dans les pages, ne respectant plus leur sage alternance, suivent en un sens Satie qui aimait à oublier tempo et barres de mesure. L’écriture de son côté jubile, se faufile elle aussi entre toutes les activités, pensées et écrits de cet hyper actif, marcheur infatigable de sa banlieue à Paris. Souffle, chaleur, vibrations parcourent cette partition doucement illuminée. Changeant, chaotique univers de l’ésoterik Erik dans lequel on plonge en suivant néanmoins un axe directeur qui recolle imperceptiblement les pièces de ce puzzle élégant, portrait fragmenté d’un être déroutant.

Un délicieux petit ouvrage à connaître pour entendre un musicien incomparable, maître du décalage oreille. Dont « la musique née dans le monde du spectacle en est tout le contraire »…un chant intime et recueilli.

Erik Satie Gnossienne No. 2 for cello and piano – YouTube

Erik Satie ~1893~ Vexations – YouTube

 

NB  : Satie continue aujourd’hui à influencer les musiciens les plus éclectiques, comme le prouve cet IKIRU PLAYS SATIE produit par le Collectif Surnaturel, un Satie en forme de duo du saxophoniste Fabrice Theuillon et du pianiste Yvan Robilliard…

https://www.youtube.com/watch?v=r7MuSA7MnvQ

7 Commentaires

  • Dorio dit :

    Merci Sophie de nous faire entrer dans la tête de « l’ésotérik Erik », né Eric Alfred (le nom de son mauvais père) Leslie (sa mère écossaise qui hélas l’abandonna pour cause de décès alors qu’il n’avait que 6 ou 7 ans). Le site erik-satie.com regorge d’articles avec un copieux nuage de mots, dont j’extrais en complément de ta chronique quelques pépites. Soit, ARCUEIL où Satie emménagea en 1898, « sans le sou ». Pendant la guerre infâme de 14-18, à chaque alerte il vient frapper chez ses voisins, la famille Veyssière : – Je viens mourir chez vous, leur dit-il. – Profitez-en pour venir manger le pot au feu, lui rétorque la maîtresse de maison. À l’article SOUFFRANCES (de la petite enfance d’Erik Satie), on comprend que le futur musicien avait eu à cette époque de sa vie, « plus que sa chose ». AMNÉSIQUE Il composa Mémoire d’un amnésique, petit opéra sans lyrics. « Tantôt ils font de moi un fou, tantôt, ils me représentent comme un être doux d’une platitude qui n’a d’égale que la leur. Peut-être se trompent-ils ? » VEXATIONS, déjà signalé dans cette page de Fragile, voit une « lettre-contribution », éclairant cette œuvre avant-gardiste, à mourir de rire. Jean-Philippe Graillat, amoureux fervent de toute l’œuvre de notre bonhomme, en est l’auteur, puisant dans les nombreuses lettres boutades de maître Éric. Extrait écrit comme un Covid pour les poires : « Vexations c’est appréhender la répétition, et surtout prouver que l’on est résistant, que l’on sera toujours là, malgré cette pandémie. Nous sommes vexés de toutes ces attaques que subit notre pauvre planète ! Alors à nos masques, avec Vexations le fond de l’air effraie…Faisons le geste barrière V de Vexations. » Voilà, je viens d’écrire pendant 4 minutes 44, « comme un thème mélodique de proportion infime », que je vous invite à répéter 444 fois, comme un rossignol qui aurait mal aux dents.

  • Sophie Chambon dit :

    Ce commentaire si pertinent révèle une âme chercheuse qui ne se contente pas de ce que l’on sait communément d’ un musicien aujourdhui très populaire mais qui va volontiers voir ailleurs…Pépites en effet trouvées par un orpailleur ariégeois 😋 que je découvre ravie cette « Amnésie »…et
    le merveilleux rebond sur ce formidable « Vexations » qui n’inspira pas visiblement que John Cage et…ce Jean Philippe Graillat que tu nous fais découvrir, Jean Jacques…

  • Dorio dit :

    Complément d’enquête

    SATIE & MONTAIGNE Satie est mort à soixante ans (moins un) comme Montaigne. Michel a écrit maintes pages d’Essais, quand Érik a tourné en tous sens les chapitres de ses partitions. Le Normand avouait 1,67 mètres quand le Gascon, petit homme sur son petit cheval, mesurait 1,57m au dire de son palefrenier. Quand tous deux étaient jeunes on leur disait « Vous verrez quand vous aurez soixante ans ». Mais à cet âge ils n’ont plus rien vu !

  • Dorio dit :

    Merci chère Sophie pour ton aimable réception Je relève en particulier l’allusion à l’Ariège, où je suis effectivement né, et dont le nom tire le nom des paillettes d’or que la rivière charriait et que convoitaient maints orpailleurs Pour en revenir à notre Satie, on peut lire ça, sous le chapitre « Coopérations libres » du livre de Bernard Sève « Les matériaux de l’art » qui vient de paraître. « Des artistes pratiquant des arts différents peuvent décider de produire une œuvre inter-artistique… » (ainsi ) Le ballet Parade des Ballets russes réunit Serge de Diaghilev (danse) Léonide Massine (chorégraphie) Jean Cocteau (texte) Erik Satie (musique) Pablo Picasso (décors, costumes, rideau de scène)) » Un excellent podcast est à écouter dur France Musique « Satie, Parade le ballet de son temps »

  • Sophie Chambon dit :

    Oui, bien sûr Parade est un événement artistique d’importance, scandaleux comme l’autre ballet de Diaghilev ( juste antérieur et Stravinski…
    Mais Satie a touché à tellement de choses, le cinéma également…Difficile de le résumer ou d’en faire le tour. D’où l’intérêt du livre de Célia Houdart…😋

  • Dorio dit :

    Ok D’accord Tu me tends en souriant la perche Dès demain je me mets en quête du Satie Houdart Il n’est jamais trop tard …

  • Dorio dit :

    Seul
    Avec étonnement
    J’écoute
    Les Gnosiennes
    Plutôt
    Deux fois
    Qu’une
    Et puis
    J’enchaîne
    Avec
    Les gymnopedies
    On ne pense
    Pas assez
    À Satie
    Je me dis
    En mangeant
    Un fruit
    En forme
    De poire

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