Les merveilleux fous du son et leurs drôles de machines

Robert Moog 

Laurent de Wilde et Samplerman

Editions de la Philharmonie

Laurent de Wilde – Laurent de Wilde

Le pianiste Laurent de Wilde est un homme très occupé : dans une invention permanente de sa musique, il se réenracine dans le jazz qu’il n’a jamais vraiment quitté mais qu’il explore de toutes les façons possibles. Pour être maître du jeu, il a créé son propre label Gazebo-il peut ainsi, en producteur heureux, enregistrer son travail et celui d’amis aussi talentueux que les saxophonistes Géraldine Laurent, Pierrick Pedron, le pianiste Paul Lay. Comme si toutes ses activités ne lui suffisaient pas (il est aussi homme de radio), il écrit des livres. Après sa biographie inaugurale simplement intitulée Monk en 1997, il a continué à écrire des livres. Entre Laurent de Wilde et les machines qui font du son, c’est une histoire de passion qu’il décortique dans des livres galvanisants.

Dans Les Fous du Son sorti chez Folio Histoire en 2017, il s’intéressait aux inventeurs géniaux à commencer par Edison ( le roi du brevet, fabricant de produits qui a inventé le métier même d’inventeur) sans négliger les formidables  ingénieurs russe Theremin, français Martenot, américains Hammon, Rhodes et déjà  Moog. Il était fatal que le pianiste qui sait traduire à merveille son imaginaire en musique s’intéressât de près à celui qui a pensé le futur de la musique en boucle.

Ce cinglé du son et de toutes les musiques qui joue en trio acoustique ( je vous conseille son tout dernier opus Life is a movie ) aussi bien qu’ électronique (6 albums depuis 2000 sur divers labels de Time 4 change… Organics, PC Pieces, Fly, à Fly Superfly sur son propre label Gazebo) ) continue son exploration avec l’une des personnalités les plus captivantes Robert Moog ( prononcez à la Hollandaise et pas à l’anglaise) qui a traduit l’équivalence entre musique et électronique. Explorateur technophile, Bob Moog est un super “soniquissime” explique Laurent de Wilde dans ses petites vidéos teasers qui sont absolument passionnantes car il est lui aussi un fou des machines et des sons.  Il a pris conscience au tournant des années 2000 que la musique était aussi et avant tout du son avec une histoire. Si tout ondule et que l’électricité porte les autres ondes, comme l’électricité est une onde qui se répète, la musique est devenue une forme répétitive qui tourne en boucle et dont on peut varier les amplitudes. Du son machinique qui est là pour rester. Comme la boucle! Ce qui change est le mode de production du son, les instruments et la spatialisation du geste musical qui en résulte.

Ce Robert Moog raconté par Laurent de Wilde et Samplerman est un livre  ludidactique sur un sujet très sérieux que l’on pourrait résumer ainsi « Robert Moog et ses machines qui font VZZZIIIOOUNG » soit le son raconté en mots et en couleurs. Sorti sur la belle collection (à prix avantageux) Supersoniques des Editions de la Philharmonie, le livre en est le septième numéro, un bel objet illustré  et co-signé avec Yvan Guillo alias Samplerman qui fabrique une BD alternative, à partir de la transformation d’images de comics des années 50, réemployant des motifs qu’il sample dans son travail : ça ne pouvait pas mieux tomber!

Laurent de Wilde commence son récit avec l’arrivée du gourou du free jazz supersonique Sun Ra ( avec tout son orchestre)  dans l’atelier de Robert Moog à Trumansburg, situé à 4 heures de route de New York.Il a entendu parler de cet instrument étrange, le Moog. Il est tout de suite conquis et repartira avec un modèle …sans le payer. Mais dont il assurera la publicité.

Mais l’aventure de Robert Moog avait commencé quelques années plus tôt, dès 1963,  avec l’installation d’un atelier et d’un labo  : en artisan véritable, il fabrique tout à la main, bricoleur de génie, vissant les vis, faisant les soudures. Robert Moog est l’un de ces scientifiques, musiciens dans l’âme, chers au coeur de Laurent de Wilde. S’ils sont passionnés de son, ils pensent à maîtriser ces interférences  qu’ils observent pour en faire de la musique. Car les relations entre création et machines en musique montrent l’omniprésence d’appareils d’enregistrement et de diffusion . Si la radio est le début de l’électronique en musique, le cinéma est aussi un aimant en matière de son. De la lampe brevetée par Edison, on arrive à la triode, un oscillateur qui reçoit et transmet les ondes  électomagnétiques. Si le mellotron reproduisait le son d’autres instruments, bien avant les samples, Robert Moog a mis au point le synthétiseur qui allait changer l’histoire du rock et de la musique. L’ingénieur connecte de petites boîtes entre elles, chacune ayant sa fonction: un oscillateur, un amplificateur puis un filtre qui soustrait certaines fréquences du signal. Ce séquençage permet à Robert Moog de décomposer le son en différentes étapes.

Dans cette première étape, les synthétiseurs Moog sont de grosses armoires recouvertes de câbles qui, paradoxalement ne produisent qu’un seul son à la fois et se désaccordent en permanence. Tout sauf pratiques. Mais avec l’arrivée du Mini Moog D fin 1970, transportable et moins cher, le succès est assuré.

Avec ces boutons qu’on a envie de tourner, ces curseurs qui montent et descendent, on a une interface directe sur ce son synthétique qui n’existe pas avant qu’on le fabrique. De plus le monophonique Moog complète parfaitement le piano électrique Fender Rhodes très en vogue qui permet de jouer des accords!

Robert Moog met tellement de lui même qu’il ne peut que plaire  à Sun Ra,  mais certains musiciens l’ont devancé dans l’utilisation de l’instrument : citons la très méconnue Wendy Carlos qui, en faisant ajouter à Robert Moog un clavier, réussit à enregistrer le Brandebourgeois de Bach et a le culot de le proposer à la Columbia: contre toute attente, son Switched-On Bach en 1968 est un immense succès (quatre Grammy awards). Elle continuera avec la musique d’ Orange Mécanique commandée par Kubrick en 1971, en travaillant sur du Beethoven cette fois. « Le Moog modulaire est devenu le Steinway du futur ». Beaucoup de musiciens et non des moindres suivront et fort judicieusement une petite play-list à la fin de l’ouvrage donne une idée de l’engouement pour cet appareil  : Herbie Hancock et ses Head hunters, Chick Corea et son Return to Forever, les Beatles ( “Here comes the Sun” dans Abbey Road), Kraftwerk  (« Autobahn ») et  ce « Popcorn » de Gershon Kingsley . Souvenez-vous :  https://youtu.be/OSRCemf2JHc

Sans oublier le « I feel love », hymne disco ( Giorgio Moroder) chanté par Donna Summer qui ouvre de nouvelles perspectives pour les machines de Bob. Qui ne s’arrêtera pas en si bon chemin, collaborant au premier piano numérique en 1982 et au Voyager en 2002, version XXIème siècle de son Mini moog.

Revoir la musique de la deuxième moitié du XXème à l’aune de ces machines,  étudier les liens entre musiques et machines et même cinéma ( Godard, « machin, machines ») est une entreprise passionnante qui ne pouvait qu’attirer Laurent de Wilde qui eut l’idée de raconter l’histoire de Robert Moog, qui, tout en vendant des thérémines en kit à ses débuts, a “trouvé” la formule du synthétiseur.

Cet ouvrage brillamment illustré se lit vite : intelligent et stimulant, il est hautement recommandé à tous les amateurs de musiques qu’ils s’y connaissent un peu ou pas du tout en électronique. Car l’histoire du synthétiseur rejoint l’histoire des musiques de la deuxième moitié du XXème siècle. Et  cet instrument avec ses développements à venir continuera encore longtemps à fasciner les compositeurs au XXI ème siècle.

 

 

 

5 Commentaires

  • Pierre Hélène-Scande dit :

    Ces deux livres de Laurent de Wilde, Les Fous du son et Robert Moog paraissent très intéressants. Prendre la musique comme un ensemble de sons qui ont une histoire est une approche sans doute très fructueuse.

  • Laure-Anne dit :

    Oui en effet! Probablement pas assez fan de musique synthétique pour acheter – et lire – un tel livre, mais l’article m’a bien intéressé…et puis cet incroyable popcorn de nos dance floors ados…

  • Sophie Chambon dit :

    Oui, il peut y avoir une certaine nostalgie mais De Wilde n’est pas dans ce « mood »… Le son machinique est partout aujourd’hui dans toutes les musiques actuelles. Exemple récent à Charlie Jazz à Vitrolles, samedi soir un hommage à ce compositeur brillant Ryuchi Sakamato à l’aise dans tous les genres….

  • Dorio dit :

    Les sons en folie
    J’ai lu ta recension (dierese)
    Écouté Pop Corn

  • Dorio dit :

    Moog et Samplerman
    Sun Ra gourou L’engouement
    Pour les sons sans fin

    (ces commencements qui n’en finissent pas)

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