PARKING

Elise Dabrowski/Fidel Fourneyron/ Olivier Lété

Label Full Rhizome

PARKING Dabrowski/Lété/Fourneyron – Elise Dabrowski

Une traversée de mots, d’idées, une suite de tableaux sonores, tel est Parking. Un travail sur la texture du son qu’Elise Dabrowski produit avec sa bouche, en vrai bruiteuse, n’importe quel son pouvant sortir par «constriction», aspiration, ou expulsion, par note filée et tenue. Une recherche que la vocaliste partage avec ses complices, Olivier Lété, bassiste accompli, expert en électronique qui prépare aussi sa basse dont les ponctuations deviennent percussives dans le titre final, éponyme.

« Le geste qui précède est déjà la musique, comme la prise d’air est déjà le chant » souligne Elise Dabrowski.

Ce que propose cette artiste de l’improvisation -vocaliste avec une sérieuse formation lyrique et contrebassiste, n’est pas inouï dans ce champ d’expérimentations aux lisières des musiques actuelles, affines. Mais ce qui paraîtrait bricolage astucieux devient le seul et juste assemblage qui compte. Ce Parking est loin de nous laisser sur une voie de garage.

Dix petites saynètes, compositions suffisamment courtes pour ne jamais lasser, le composent où les interventions équilibrées des instrumentistes accompagnent au plus près la voix qui peut  jaillir en éclats tranchants comme dans « les êtres en quête » ou se résoudre en frémissement puis gargouillis désespéré.

Elise Dabrowski se moque élégamment des frontières de plus en plus fines entre toutes ces musiques, ces courants qui vont du jazz contemporain à la musique électronique, de l’opéra contemporain au théâtre. On sent en effet que ce qui l’intéresse est de se glisser dans les marges, de performer dans les intervalles que ménagent ces formes scéniques où elle est à l’aise.

Elle choisit son corps et sa voix pour seul instrument dans ce trio épatant. Il fallait absolument hasarder une telle rencontre à trois  : elle ne prend pas grand risque dans cet écrin que lui propose le voluptueux trombone de Fidel Fourneyron, ce drôle d’Animal que l’on n’est pas surpris de trouver dans un nouveau projet “jazz de création”, différent de ses versions déjà déstructurées du bop dans Un poco loco, et Ornithologie. C’est encore un  exercice de style pour le tromboniste qui peut aussi bien la jouer “Gavotte”, dansant à sa façon dans cet intermède introduit par une basse aérienne; user de sourdine avec une évidence lumineuse sur « Dis simplement quelque chose ». Ou se volubiliser autour d’ Elise et de son chant.

Peut-être es tu immobile à ta fenêtre et je m’accroche à toi,

Je cherche tes yeux et ne les trouve pas

Peut-être que j’ai tout oublié

Peut-être es tu immobile à la fenêtre et je ne te vois pas.

La voix s’enroule aussi aux volutes cuivrées dans cette aubade bizarre soutenue par une basse légère et essentielle. Drôle de fin, à contretemps, les mots s’arrêtent à bout de souffle, recouverts par les étranglements du trombone, qui vous ferait prendre un murmure, dans tout ce que le langage a d’inarticulé, pour une pensée.

La trame sur laquelle ce trio osmotique, et équilatéral se livre à des explications sonores, provient en partie, pour trois compositions, d’un texte du dramaturge et metteur en scène Falk Richter. Le titre Parking, plutôt inhabituel et peu accrocheur, s’entend dans la mise au point, conclusive:

Avant je voulais changer le monde mais maintenant je ne pense qu’à ma place de parking….

Avant je voulais changer le monde, j’ai commencé à tellement changer que j’ai oublié qui j’étais.

Ce sont des mots usuels, économes auxquels s’adossent basse, voix et trombone. Ponctuant de coups sourds, hypnotiques, la basse devenue percussion volatile, martèle des formules sans appel qui  renvoient  à nos projets de monde d’avant et d’après. On a déjà oublié tout ça, n’est-ce pas?

“Peut-être es tu immobile à la fenêtre” évoque d’autres compositions, en cohérence,  “des paysages qui attendent” par exemple, complétant une vision immobiliste qui atteint paradoxalement son but dans “Faire s’écrouler des choses”.

Toutes ces petites pièces s’agencent  harmonieusement dans une distribution élaborée de sons, de mots, et de mélodies. Une pâte sonore où trois inconscients raisonnent à l’unisson. Alliance du trombone et de la basse qui poussent la voix dans certains de ses retranchements, travaillant divers états, dans un élan commun, en contrastes calculés pour nous faire passer de la violence éruptive du cri à sa diminution progressive, du murmure au souffle.

Le trio fait sens, donne à voir en live les passages, les transformations  éclatantes d’une trajectoire commune, dans l’enjeu premier qui est de faire corps. Si ce travail collectif nous touche autant, c’est que le résultat aboutit à un échange aussi intense que fragile, à saisir précieusement dans l’instant.

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6 Commentaires

  • En essayant de « rattraper », selon le vœu de Sophie, la voix volubilisante (sic) d’Élise Dobrowski, je me suis retrouvé « coupé en deux par la fenêtre, » donnant sur un parking où la pensée parlée tenait lieu de grand véhicule. Comprenne qui pourra, mais je n’ai pu me débarrasser de cette phrase (entre guillemets) de Breton (André), cognant à mon oreille, durant toute la lecture de ce post inspiré. (la phrase de conclusion manque)

  • Sophie Chambon dit :

    Urgence de ma petite déclaration : le trio passe demain, saledi 22 août, au Parc floral de Vincennes dans le cadre de cette programmation estivale, en journée, toujours soignée dans sa diversité et…gratuite.
    Merci pour votre réflexion très inspirée en effet, Jean-Jacques qui projette plus loin que le plat terrain vague du parking. Pas besoin de conclure, vous savez…. inspiration pour certains et…transpiration pour d’autres.

  • Sophie Chambon dit :

    Et voilà que dans ma hâte de voir se conclure ce mois d’août que j’ai toujours trouvé détestable, je coquille « saledi » au lieu de samedi. Plus grave, ce dérèglement de mon horloge, le 22 août c’ est dimanche…..

  • Sale dit ? Sel des coquilles de Saint Jacques ou de Sainte Sophie fêtée un 25 mai. Le mai le joli mai et non c’est août, foi d’animal, qui laisse dépourvue notre enchanteuse. (tiens un hapax)

  • Laure-Anne FB dit :

    La voix est belle et acrobatique sans effort apparent, tout est très « juste » et léché , c’est simplement pour moi, un peu…ennuyeux…
    Aussi, par moments cela m’a bp amusée parce que cela m’a fait penser à la langue personnelle que mon amie J. utilise pour communiquer avec ses chats!!
    Comme quoi la forêt du commentaire d’oeuvre peut donner ombre plus fraîche que l’arbre qu’elle admire.
    Mais je suis ignare, je le sais et mes oreilles impatientes…

  • Sophie Chambon dit :

    Merci de ta réponse, cara amica, et désolée que l’ombre portée ne soit pas assez fraîche pour ton goût… Ce sont les risques du métier (d’auditeur). Il me paraît très délicat de se définir sur un extrait si court alors que chaque projet porte sur un album dans sa conception et continuité. Bien sûr cela donne une (petite) idée… qui peut s’avérer plus que trompeuse. Comparable à la bande-annonce d’un film à laquelle je ne conseillerais jamais de se fier. …
    Il ne sera jamais question de toute façon que de ressenti, jamais de connaissances…

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