Mimine a disparu

A choisir entre les intérêts des humains et les intérêts des animaux, il optera sans hésitation pour les humains, son espèce. Bienveillante mais distante : c’est ainsi qu’il décrirait son attitude envers les animaux.

JM Coetzee L’abattoir de verre

 

J’ai une nouvelle amie Anita, elle a un chat qui s’appelle Mimine. Personne n’est parfait ! Elle m’en avait parlé au téléphone avant que nous nous rencontrions. « Mon adorable chat » disait elle. Il est vrai qu’elle (car c’est une femelle) a un pelage tricolore, gris, blanc et caramel, qui lui va à ravir et un joli museau. Mais le problème c’est que je n’ai pas une passion folle pour « la féline engeance » et que Mimine a tous les droits, y compris celui d’être présente dans la chambre à coucher. « Elle est habituée! » dit mon amie. Ambiance spéciale. Sexualité et félinité riment-t-elles ? La nuit qui suivit nos premiers ébats, avec Anita, j’eus la surprise, étant dans un profond sommeil, de sentir une créature étrange débouler sur ma tête. Choc émotionnel, battements de cœur, tension élevée, sans AVC mais quand même ! Anita finit par prendre la mesure de la situation, d’autant plus que sa meilleure amie l’a mise en garde : « Ça ne va pas, Anita, si tu as quelqu’un dans ta vie le chat ne doit pas franchir le seuil de la chambre ». Mimine voit finalement sa circulation réduite dans l’appartement. Une pièce lui est interdite : la chambre. On a droit à des miaulements sans fin de l’autre côté de la porte mais on ne cède pas et, du coup, on y gagne en intimité.

Le lendemain, je sens que la bestiole m’en veut. Elle me regarde de travers mais, heureusement, elle peut se replier sur son véritable espace : un balcon avec une rambarde assez haute où elle aime se prélasser au soleil mais où elle fait parfois des coups tordus. Avec une agilité étonnante, propre sans doute aux félins, elle arrive à attraper des oiseaux et à leur faire subir mille morts. « Bon, c’est son territoire ! » dit-on. Je ne vais pas m’attarder sur la cruauté des chats car je viens de lire le plaidoyer pro animalier de JM Coetzee dans L’abattoir de verre.

Passons donc et occupons nous de nos projets.

Avec Anita, on adore l’Italie et on a prévu d’aller à Venise. Mimine ne prendra pas l’avion bien sûr, ce n’est pas un problème puisqu’elle sera gardée par une personne de confiance.

Les valises sont bouclées, nous partons demain. C’est l’excitation. Mais l’animal a-t-il compris que sa maitresse allait partir avec son rival ? Je ne sais, toujours est-il que Mimine a disparu. On la cherche partout, en vain. Les moindres parcelles de l’appartement sont inspectées mais aucune trace du félin. Il faut se rendre à l’évidence : elle est passée par dessus bord, de l’autre côté du balcon. On est au deuxième étage et il y a certes des frondaisons en contrebas qui peuvent amortir la chute mais aussi une cour en ciment tout en bas.

On rejoue chacun cherche son chat et il me prend l’envie de chanter la mère Michel qui a perdu son chat qui crie par la fenêtre à qui le lui rendra mais, avant la réponse du père Lustucru, nous voilà au rez-de-chaussée pour explorer la cour intérieure où devrait se trouver Mimine mais aucun signe de sa présence ne se manifeste. Elle a pu sortir dans la rue, tout est possible. Nous passons les environs au peigne fin mais Mimine est introuvable et le lendemain nous partons pour Venise. Enfin, en principe, car Anita est au désespoir. Elle n’envisage pas le départ avant d’avoir retrouvé Mimine et de pleurer abondamment, à chaudes larmes avec force transports. Je me fais consolateur tout en laissant passer l’orage puis lui fais ressortir que nous avons beaucoup investi amoureusement et, il faut bien en parler, financièrement dans ce voyage. L’avion, l’hôtel (convenablement étoilé) bien sûr mais aussi les entrées, coupe fil, pour le Palais des Doges, sans compter les places que nous avons réservées pour un Don Juan à la Fenice, parfaitement. Je lui dis que de toutes façons notre départ ne change rien et que l’on va faire des affichettes qu’on va coller partout dans le quartier et que la personne prévue pour la garder pourra la recueillir aussi bien que nous en cas de retrouvailles. Pendant un temps, pour Anita, c’est le dilemme : Des deux côtés mon mal est infini. O dieu l’étrange peine. Faut-il se priver d’Italie ? Faut-il perdre ce chat que j’aime ? Bon mais la balance penche du mauvais côté. L’Italie et moi nous ne faisons apparemment pas le poids. Elle me dit que dans ces conditions elle ne partira pas et je lui réponds comme au théâtre « alors c’est moi qui vais partir ! » et j’ajoute « D’ailleurs, je n’aurais même pas à faire mes valises, elles sont prêtes. ». Oui, on peut dire que je lui fais une scène et même du chantage, ce n’est pas joli, joli mais j’assume !

(…)

Nous sommes en train de prendre le petit déjeuner au soleil sur un autre balcon, celui de notre hôtel Casanova. En contrebas nous entendons cette langue qui nous charme tellement mais aucune envie ne nous vient de passer la rambarde.

Et Mimine ?

Dois-je préciser que nous sommes à Venise? Je n’ai pas beaucoup de temps, aujourd’hui nous allons au musée de l’Accademia et nous ne sommes pas en avance alors faisons un petit retour en arrière mais rapide :

 

Je descends les escaliers et je suis dans le couloir de l’immeuble d’Anita avec mes bagages quand un faible miaulement se fait entendre qui provient des caves… Retrouvailles, remontée des étages avec l’animal, réconciliation, effusions…

 

Désolé mais les cappucino arrivent…

Ciao.

AB

André Bellatorre

André Bellatorre

Il a assuré pendant deux décennies des cours de littérature contemporaine dans le cadre du DU d’écriture. Il y a cultivé la notion de métalepse narrative mise au jour par Gérard Genette. Il a publié deux ouvrages Le printemps du temps (avec Michèle Monte) et l’Aventure narrative (avec Sylviane Saugues) créé et collaboré à la revue d’écritures Filigrane, voilà pour l’écrit. L’oral ? Une communication au colloque de Cerisy. Il anime aussi des ateliers d’écriture buissonniers.

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    12 Commentaires

    • Ca(t) dit :

      Quel texte savoureux ! On en ronronne de plaisir!
      Ca(t)

    • Laure-Anne dit :

      L’histoire ne dit pas si Mimine conquise n’a pas conquis son farouche vainqueur…à suivre??
      Et bravo pour la chute, qui vaut bien celle de Mimine du lit aux carreaux, du balcon à l’enfer des caves !

    • Dorio dit :

      Le chat de mon amante (une chatte plutôt)
      A failli me priver de l’andante de Don Juan
      (et du scherzo) C’eût été bête pour une affaire
      de chatte disparue dans les caves du Vatican…
      (qu’est-ce que j’invente là ?)
      …de ne pouvoir jouir de la Fenice et de ses ors
      Heureusement les dieux de la fiction fellinienne
      ont rétabli « in fine » l’inextricable situation :
      Miaou Miaou qu’elle est touchante l’histoire de Mimine
      (et d’Anita)

      • bellatorre dit :

        Oui je veux bien vouer un culte « aux dieux de la fiction fellinienne » même si nous ne sommes pas à Roma et à sa louve mais il est vrai Casanova n’est pas loin pas dans la cave certes mais dans le sous sol du palais des doges les Piombi!

    • Hervé Mathoux dit :

      Résumons cette pièce tragi-comique. Le petit chat est-il mort ? Non, il n’est que disparu. Mais se pose le dilemme cornélien, la Botte ou le chat … botté ? Coup de théâtre final, le chat réapparaît … tel le Phénix. Heureux dénouement.

    • Sophie Chambon dit :

      Chacun cherche son chat…

      Du suspense dans cet inquiétant mais élégant dilemme, jamais cruel ( on n’est pas chez Simenon) et rejouissante volte-face finale. On aime….
      Mimine a bien compris que pour garder sa maîtresse, il lui fallait disparaître, pas se réfugier derrière le radiateur mais sauter par le balcon et se réfugier sur les toits sachant que le compagnon de sa maîtresse a le vertige et qu’ il est plus occupé à boucler ses valises, rêvant à Don Juan dans une nouvelle Fenice, et même à Casanova et à ses oiseaux mécaniques qu’à rechercher une chatte un peu trop envahissante.
      Qui l’emportera ? C’est elle ou lui… Mimine, dans ce cas de figure, préfère ne pas la jouer perchée, descendant non dans les caves du Vatican mais dans celles de l’inconscient d’où elle finira par remonter, maîtresse du temps….car la partie de cache-cache ne fait que commencer.

      • André Bellatorre dit :

        Belle échappée de haut vol qui dé—lire joliment, qui joue à cache cache avec le texte et qui fait de Mimine bien plus qu’un petit chat. Merci pour cette remontée qui fait figure d’énigme…

    • Dominique dit :

      Merci André ! De toute façon Mimine n’aurait pas pu traverser une place peuplée de pigeons sans faire un carnage. Jetons un voile pudique sur ce coupe-fil vénitien, rien de tel que le Grand Canal pour un raconteur d’histoires. Un seul regret, le narrateur ne précise pas si des éclairs arrivent avec les cappuccino.

    • André Bellatorre dit :

      Merci Dominique pour avoir éclairé virtuellement cette brève fiction félino vénitienne.

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