« Croire en Dieu vous dispense de croire à quoi que ce soit d’autre – ce qui est un avantage inappréciable. J’ai toujours envié ceux qui y croyaient, bien que se croire Dieu me paraisse plus aisé que de croire en Dieu. » Cioran (Aveux et anathèmes)

Pas incompatible. Se croire Dieu est souvent ce qui caractérise clercs, théologiens (quand ils sont dogmatiques) et autres législateurs de religion. Ça serait comique si ce n’était pas pour le pire. Tu nous a faits à ton image, mais nous te l’avons bien rendu. (Et si Voltaire était plus misanthrope que Cioran?)

« Vous avez beau déserter telle croyance religieuse ou politique, vous conserverez la ténacité et l’intolérance qui vous avaient poussé à l’adopter. Vous serez toujours furieux, mais votre fureur sera dirigée contre la croyance abandonnée ; le fanatisme, lié à votre essence, y persistera indépendamment des convictions que vous pouvez défendre ou rejeter. Le fond, votre fond, demeure le même, et ce n’est pas en changeant d’opinions que vous arriverez à le modifier. »

Belle analyse du je ne sais quoi de totalitaire qui caractérise le dogmatisme prêcheur, et, dans la même veine, la sorte de militantisme incapable d’admettre (ou même d’entendre) l’objection.* Ce comportement furieusement irrationnel auquel horreurs et erreurs historiques doivent tout.

« On me pressent pour un colloque à l’étranger parce qu’on aurait, paraît-il, besoin de mes vacillations. Le sceptique de service d’un monde finissant. »

De temps en temps Cioran a de remarquables bonheurs de plume (à défaut d’autres bonheurs). Mes vacillations : bravo l’artiste. En fait vacillation est un mot que Robert ne connaît pas. Cioran l’a-t-il créé sciemment, ou est-ce un involontaire barbarisme ? En tous cas ce mot valise réussit une belle synthèse entre vacillement et oscillation.

Oscillation, la pensée en déséquilibre permanent du sceptique, la fameuse branloire pérenne de Montaigne, son Que sais-je ?, et la balance comme logo de l’entreprise Essais.

Vacillement, l’intensité intermittente, la clarté fragile d’un lumignon. Le mot implique une humilité pas fréquente chez Cioran, et surtout un aveu : lassitude de la lucidité.

Le tout couronné par la dernière phrase bien crépusculaire, style À la fin tu es las de ce monde ancien (l’entend-on penser avec Apollinaire). Plus post-moderne que ça tu meurs.

Des lumières de Voltaire aux vacillations de Cioran …

* Germaine de Staël nomme cela l’esprit de parti.

photo Marion (Pixabay)

2 Commentaires

  • Laure-Anne dit :

    Suis en train de lire les soubresauts révolutionnaires chez le René cher à Germaine, et bien que croyant, il est aussi dans cette touchante et inattendue vacillation…il était un post-moderne de son temps…ou un humble familier de la branloire pérenne, de ceux qu’exècrent et exécutent les péremptoires de tous acabits…

    • Ariane dit :

      Tu sais quoi ? je crois que tout simplement, comme Germaine ou Michel, il n’était pas con. ça aide bien, pour ne pas être péremptoire.

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