(Partiellement inspiré par le mythe de Progné et de Philomèle tel que raconté par d’Ovide)

    Il était une fois un pays qui, se lamentant de l’éternelle discorde entre les sexes, par le secours de dieux bienveillants que n’avait pas gagnés le dégoût de leurs créatures, voulut que le respect et l’amour ne fussent pas de vains mots. Auprès des dieux, d’une seule voix le peuple prononça sa requête. Les découvrir n’avait pas été malaisé : aimant les hommes, les dieux ne s’étaient jamais résolus à abandonner leurs demeures et leur compagnie ; ils vivaient parmi eux, déplorant leur libre-arbitre et s’en réjouissant tout à la fois.

    Ce qu’hommes et dieux se dirent, nul n’a le droit de le révéler, mais certains prétendent que, pour celui qui saura entendre chaque trille dans le chant du rossignol, il n’en sera plus mystère. Ne demeura pas secrète cependant l’étrange et merveilleuse métamorphose qui s’opéra désormais sur ces hommes qui, oublieux de ce qu’ils étaient nés du corps d’une femme, profanaient celui de leurs sœurs et de leurs filles : aussi, à peine leur crime perpétré, en hermaphrodite étaient-ils aussitôt changés. Sous cette forme naissait et perdurait l’effroyable et double supplice de la culpabilité et de l’innocence violée. Leur imagination tout comme leur conscience ne connaissait aucun répit : la seule vision des hommes et des femmes leur faisait souvenir de leurs maux passés et craindre leurs forfaits à venir, tandis que les mille regards des juges exacerbaient la déchirante honte de l’accusé.

    Bientôt, ils prenaient la fuite et marchaient au désert ; mais pour longtemps encore, ils discerneraient, dans le piaillement d’un oisillon ou le chétif bramement d’un faon, l’écho de la voix des hommes et des dieux.

    On dit que la route d’inquiétude n’a pas de fin, mais qu’elle dessine des arabesques folles qu’un jour, l’homme métamorphosé voudra traduire en mots. Car lorsque celui-ci a vécu dans sa pureté et dans son infamie, lorsqu’il a baigné dans sa cruauté et sa candeur, vient un temps où l’expérience humaine est trop grande pour ne pas être murmurée, bégayée, racontée puis chantée.

    Un jour, ces voix empliront la terre, mais on ignore si elles donneront à entendre une leçon de ténèbres ou un hymne à la joie, si elles trouveront l’harmonie. Aujourd’hui, elles empruntent encore toutes les tonalités et instruisent de leurs notes ceux qui les écoutent. Les contrées étrangères envient la savante virtuosité des artistes et des interprètes formés à ce métier. Et lorsque aucun bruit n’étouffe, la nuit, la complainte des femmes bafouées, leurs habitants soupirent après cet Eden. Car voilà plusieurs siècles qu’en ce lointain pays, aucun homme n’a plus outragé une femme, que le savoir accouché de l’insupportable fut transmis, sans que le sang ne fût répandu, de bouche en bouche.

(Tableau par Sandro Botticelli, The Yorck Project , 10.000 Meisterwerke der Malere, distributed by DIRECTMEDIA. Domaine public.)

2 Commentaires

  • Michèle Monte dit :

    En écho à ce conte je vous invite à écouter la série « Des hommes violents » podcasts sur France culture que j’ai trouvé très intéressante, pas manichéenne, montrant des situations diverses, des hommes parfois murés dans leurs certitudes oppressantes, mais souvent aussi désemparés et mal préparés à penser une évolution vers une autre masculinité.

  • Bertrand dit :

    Belle plume !

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