Pour Méléagre de Gadara

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De tous les auteurs grecs qui se piquaient de faire des vers, il fallut que la tradition retint quelques grands noms qui furent aussi les plus anciens ; Homère, comme Hésiode, triomphent au sommet du panthéon littéraire de l’Occident où ils se partagent une force originaire et séminale. Ces deux noms qui semblent procéder d’un même souffle expiré ne disent pourtant rien de ce que fut la prodigieuse variété de l’écriture poétique grecque. A recentrer sur la Grèce ancienne, et sur sa poésie, les trames de nos regards inquisiteurs, on découvrirait sans peine une foison d’auteurs anonymes, ou bien que la tradition ait écorné leur nom au point de les perdre à jamais, ou bien, et cela est peut-être pire, qu’elle n’ait pas su les répéter de manière assez vive pour les imposer à la postérité.

Le profane curieux et l’helléniste un peu savant, quand ils se font véritablement philologues retrouvent un peu de ce qu’a pu être l’enthousiasme des premiers humanistes – devant eux, une foison d’auteurs, une continuité d’écriture sur des siècles et des siècles, une hétérogénéité de formes et de figures. Ils s’amusent des façons d’Ésope, apprécient le caractère des bucoliques parmi lesquels Théocrite est le plus grand ; ils s’emportent avec le souffle d’Apollonios, se confondent parmi les vers obscurs de Lycophron, admirent le talent un peu précieux de Callimaque. A plonger dans cette eau notre regard, on pourrait s’étonner : de Pindare, sinon le nom auguste, qui se souvient des vers ?

Lyre d’or, lot commun d’Apollon et des Muses aux-boucles-tressées-de-violettes…1

ces vers qui furent pourtant repris de Ronsard à Brasillach, en passant par Saint-John Perse ? Le matériau poétique de la Grèce antique, cette ressource précieuse qu’ont transmutée depuis bien des alchimistes de l’encre et du papier a-t-elle quitté leurs cabinets secrets ? Réponse pudique du traducteur pour qui cette lyre d’or paraît bien le lot commun du poète et des philologues – il importe d’en répandre les fleurs.

De tous ces noms perdus dans la poussière et vaguement secourus par les anthologistes, grecs d’abord, puis modernes, un seul nous retiendra cette fois, car il est le premier dans l’ordre des Passeurs. Au cœur de l’Anthologie grecque se trouve une couronne, La Couronne de Méléagre, sorte d’anthologie de la poésie grecque des origines à ses jours que Méléagre, en poète, a composé pour le bonheur de ses contemporains. On a une idée claire de ce que fut l’extension de cette œuvre perdue, et répétée, et complétée, et poursuivie par Planude et les autres, mais ce que fut en propre son œuvre à lui, et à lui-seul, n’a jamais fait l’objet d’un intérêt fouillé2.

Voici donc une couronne pour Méléagre !

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1Pindare, Pythiques, I, notre traduction.

2A l’exception d’une thèse, d’ailleurs ancienne, d’Henri Ouvré.

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