PENSER

aux autres que soi-même, à l’air libre, à panser nos douleurs

Nous ne sommes pas de ceux qui ne pensent qu’au milieu des livres et dont l’idée attend pour naître les stimuli des pages; notre éthos est de penser à l’air libre, marchant, sautant, montant, dansant, de préférence sur les montagnes solitaires ou sur les bords de mer, là où même les chemins se font méditatifs. Nietzche Parfois je pense et parfois je suis Paul Valéry Penser ses pensées qui vont viennent passent et repassent Penser au furet que mon père lâchait dans les terriers pour faire sortir les conils (sauf que souvent saoulé de sang, mustela putorinsfuro dans le trou s’endormait) Penser aux dernières pensées qui assaillent Jésus : Papa pourquoi m’as-tu abandonné ? Penser à Descartes seul dans son poêle qui a une crise de doute Penser à sa planche de survie le cogito ergo sum Penser aux ergots sur lesquels se dressent les petits coqs machos que jadis naguère nous appelions phallocrates Penser (à nouveau) à Descartes dont le cogito nous enseigne que l’existence de la conscience se confond avec la conscience d’exister (Merlau-Ponty l’a dit) Penser à l’objection de Paul Ricœur pour qui la connaissance intuitive de nous-même est une illusion : il n’y a pas d’accès de soi à soi sans la médiation des signes, des symboles et des textes Penser à nos ami.e.s qui une fois mort.e.s ne répondent plus à nos questions Penser que cependant au détour d’une lettre, d’une image, et (plus rarement mais aussi) d’un poème, nous continuons à les solliciter Penser à mon recueil Poèmes à ma morte publié par l’Harmattan quatre ans après ta disparition ô ma beauté Penser à ce qu’écrivit le directeur de collection qui les publia : plus qu’un témoignage sur la disparue, ce recueil s’apparente à un accompagnement de la morte aux frontières des mots retrouvés pour la distraire de sa nuit définitive (Philippe Tancelin) Penser à distraire nos douleurs du souvenir de nos félicités (Albert Camus) Penser à l’Art poétique écrit Jadis et Naguère par Verlaine Penser à la musique avant toute chose déclinée par ce maître ès poésie en 9 strophes de 4 vers chacun de 9 syllabes (les ennéasyllabes) Penser à privilégier l’Impair sans rien en lui qui pèse ou qui pose Penser à préférer aux gens qui profèrent leurs paroles d’Évangile, les gens qui doutent Penser à la petite chanson d’Anne Sylvestre et la balancer dans les jambes de ceux qui prennent les poètes pour des cons Penser à veiller au grain des mots compte tenu des choses Penser à ce que l’amour des mots choisis non sans quelque méprise nous procure et Penser que tout le reste est littérature

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Jean-Jacques Dorio

Jean-Jacques Dorio

DORIO Jean Jacques/ 1945/ Ariège/ marié 4 août 1979/ veuf 2014/ Professeur de collège/ 1966-2005/ Coopérant à Caracas (Venezuela) 1968-1970/ Vit depuis 1978 aux Martigues/ Livres de poèmes : Secret des marges : Rafael de Surtis (2011)/ JeT’Rêve : Rafael de Surtis (2011)/ Itinéraires : P.J. Oswald (1975) Recueils de poésie chez Encres Vives/ Livres d’Artiste / CD de Chansons (paroles, musiques, interprétations JJ Dorio). Blog de poésie : un poème pour chaque jour depuis le 08/01/2006, poésie mode d’emploi wordpress.com/view/poesiemodedemploi.home.blog

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    3 Commentaires

    • Jean Marie Corbusier dit :

      Cher Jean-Jacques,

      Merci pour ton dernier message et les réflexions qu’il suscite. Pour ma part, je distingue bien entre penser et se rappeler ou se souvenir. On ne pense pas à aller faire des courses mais on se rappelle. Penser est à l’origine une création, on part d’un fait, d’une expérience ou d’une pensée, et on élabore par tout un cheminement une abstraction dite pensée. Pour ce faire, toute une série de choses sont mises en connexion concrètes ou abstraites, elles dessinent tout un réseau avec ses embranchements, ses lignes droites, ses aller-retours, suscitant doutes, joie de la découverte, plaisir de la progression, et le but atteint une satisfaction qui est avant tout plus un soulagement. Penser fatigue. Reste à trouver une juste expression à cette pensée qui quelquefois nous submerge, nous décourage. Sans compter que l’on peut s’exprimer par images, métaphores, symboles, et toutes les figures de style possibles. Pensées que l’on conservent pour soi ou que l’on répand pour le plaisir d’autrui. Que dire aussi de toutes les pensées fausses, éclairées par l’égoïsme, le désir de domination, de séduction, désir de se rassurer. Mais comment élaborer une pensée vraie, libérée de la subjectivité. Est-ce possible ? La part intime de l’homme y est profondément attachée. C’est n’est jamais qu’une ouverture momentanée

    • Penser la « Fragilité » sur un site de création devrait stimuler une situation assumée (et déclinée) en commun :

      « Les échanges entre esprits ayant reçu des formations différentes sont un stimulant de l’invention dans une situation nouvelle, commune à tous, pourvu que la situation soit effectivement assumée collectivement. Qu’une situation assumée en commun devienne statique ou s’enlise dans le formalisme ou se désagrège complètement, la conséquence en sera que la créativité aura tendance à se tarir et qu’il deviendra de plus en plus difficile aux membres d’une société de s’adapter aux changements inévitables provoqués par la naissance, la vie et la mort des individus qui la composent. »

      John Blacking (1928-1990) ethnomusicologue et anthropologue

    • Laure-Anne FB dit :

      Le cours de ces pensées, qu’elles soient mémoire ou élaboration, ou mise en connection qui est la périphrase pataude de l’intelligence, inter legere, est aussi un pansement waterproof spécial peaux sensible au cours des choses…

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