La Chambrette de la Belle de mai, Rue Loubon. Camera obscura.
Le quartier de la Belle de Mai n’est pas le plus pimpant ni le plus printanier de Marseille mais c’est un quartier populaire vivant. Il l’aime.
C’est là qu’il habite, enfant. Rue Loubon. Un oxymore !
Il partage avec ses parents une grande chambre dans ce petit appartement.
Dans le prolongement du grand lit nuptial assez monumental (Louis XVI ?), on peut voir son lit assorti d’un encadrement qu’on appelle cosy.
Il y avait pourtant une pièce attenante où l’on aurait pu placer un lit pour enfant. Une chambrette. C’est ainsi qu’on la nomme, mais selon mes parents, la chambrette n’est pas une chambre, c’est une pièce aveugle (Tirésias n’est pas loin). Aucun lit ne s’y trouvera jamais. Mais n’est-ce pas exagéré de la déclarer aveugle ? On devrait plutôt dire borgne car elle a une petite ouverture, une lucarne, qui donne sur un sombre palier mais cela ne change pas grand chose. C’est une chambre qui ne voit jamais la lumière du jour.
C’est dans cet endroit que le père range ses outils… sur le mur. Il leur fait un dessin, comme avec un pochoir d’une certaine façon, en faisant ressortir leurs contours pour retrouver leur emplacement mural. Mon père est un homme d’ordre. Il a raison de prendre ses précautions tant l’enfant fait de cette pièce un espace de jeu et déplace volontiers marteaux, tenailles, tournevis, scies qui n’en font qu’à leur tête et se retrouvent à terre dans le plus grand désordre alors que le mur affiche une honteuse nudité couverte heureusement par les dessins. Autrement dit, l’enfant fout le pàti mais, contre toute attente, il ne reçoit qu’une molle réprimande paternelle.
Il recommencera.
Cette pièce a une autre fonction. La mère a peur des orages et se réfugie volontiers dans cet endroit avec l’enfant. C’est sa façon à elle de se protéger du feu d’artifice sidéral. Du bruit et de la fureur. A travers ce retrait, ou plutôt cette retraite, sa mère rejoue peut-être quelque chose du traumatisme de la guerre et des bombardements qui ont frappé particulièrement la Belle de Mai. Le quartier a payé cher sa proximité avec la gare Saint Charles.
Elle lui racontera plus tard qu’un jour elle ne pouvait pas aller travailler « en ville » à cause de l’arrêt des transports causé par les bombardements et qu’elle avait décidé de se rendre chez le coiffeur. Mais une amie providentielle est venue la chercher pour qu’elles aillent au bureau, à pied, rue Sylvabelle. Pas la porte à côté. La mère s’est laissée convaincre.
Le salon de coiffure a été soufflé par une bombe.
Ouf ! Sa naissance ne tenait qu’à un fil.
La chambrette serait restée vide.
Lui, né après guerre (guère après), n’a pas vécu cela et il regarde avec étonnement sa mère l’enlever pour trouver refuge en urgence dans ce lieu qu’il considère comme son terrain de jeu.
Loin du tonnerre et des éclairs Jupitériens.
AB
Photo: Vitrail créé par Anne Marie Sirven à partir d’un tableau de Valério Adami
Ce sont trois histoires que cette chambrette dite aveugle a bien vues, simplement superposées sans jamais se rejoindre. Ce que cette pièce a pu contenir ne peut se révéler que dans un murmure. Il y a, venant de ces quatre murs, une émotion qui veut être partagée, sans qu’on sache pourquoi. Le mystère dont nous sommes nés vient de si loin…
Merci Serge pour cette fine analyse.
Ce texte longtemps caché, sort, à la bonne heure, de sa chambre obscure, sous forme d’anamnèse. Il à la place de Je. Je me suis empressé de l’imprimer illico, pour l’avoir sous mes yeux, noir sur blanc, et ne pas le voir voué à sa disparition, même virtuelle, dès que s’éteignent smartphones, iPad et autres écrans d’ordinateurs. C’est qu’en effet, j’ai besoin pour que ce texte me parle de le voir sur le papier, de le lire et de le relire, « littéralement et dans tous les sens ». Ce n’est qu’ainsi que je peux à ma guise, apprécier le jeu savoureux à l’œuvre dans ces pages où se succèdent maints biographemes (e accent grave) bellatorriens, montés sous forme de puzzles propres aux amoureux fervents d’une littérature qui déploie sa « vie mode d’emploi », en retrait, à bonne distance d’un monde usé par la nécessité de vendre ses productions romancées. « La chambrette de la Belle de Mai, rue Loubon », « pour trouver refuge, en urgence », nous laisser capter par cette poésie des rapports humains, fragile nécessairement fragile.
Oui je suis heureux que ces obscures « anamnèses », ces quelques « biographèmes », aient pu être apprécié.es comme un jeu savoureux aux yeux du poète…Certes ils sont fragiles « nécessairement » Bien vu.
Merci pour ce voyage dans un des lieux chers à l’auteur.
Moi qui n’habite pas si loin j’ai fait un voyage dans le temps…
On attend les autres lieux ! Une écriture qui inspire les auteurs en ce moment, à n’en pas douter (cf : le dernier ouvrage d’Anne Roche).
A coup sûr les lieux nous habitent.
Heureux que ce voyage intérieur ait déclenché un voyage dans le temps.
Les autres lieux ne manqueront pas d’advenir. D’autres voyages en perspective et d’autres rebonds, j’espère.
Bravo André pour cette réécriture œdipienne de la chanson « L’orage » de Brassens ! Ici, c’est la maman affolée qui met le fils à l’abri des feux d’artifice et des éclairs jupitériens dans cette « piécette » sombre aux allures de forge, où le père-Hephaistos, le dieu forgeron, cocufié maintes fois par son épouse Aphrodite, range ses outils et fabrique accessoirement … la foudre pour Jupiter.
Oui cette rime avec la chanson de Brassens est bienvenue et les allusions mythologiques sont tout à fait appropriées. Un bel éclairage.
Un fil ou un cheveu, nos vies ne tiennent pas à grand-chose, et la chambrette de la rue Loubon n’en finit pas d’enchanter cette fenêtre. Merci André.
Merci à toi Dominique pour cette remarque bienveillante …
Dans cette chambre pas si obscure, à tour de rôle, « il » fait couple avec la mère, ou paire avec le père….sa vie d’humain a funambulé sur le fil du rasoir de l’histoire, et les foudres guerrières, paternelles, ou du temps mauvais se résolvent en la bonhomie tendre d’un ordre dessiné, d’une peur désormais bénigne des détonations…la rue Loubon sécrète sa tendresse, échappée belle…
Le cosy m’a renvoyé à mon enfance : je partageais un lit cosy avec ma soeur…
J’aime l’écriture à la fois précise et simple, l’espacement progressif des paragraphes, pour laisser la place au silence ému de la mémoire.
Merci Michèle pour ta remarque précieuse et content de ta reminiscence