Oh le Kiki,

Nous sommes à D… ma compagne Anna et moi avec notre chien Renzo. Pas question de faire l’impasse sur la visite du musée de la ville. Le toit magnifiquement coloré du bâtiment semble nous inviter à pénétrer à l’intérieur mais notre chien est-il autorisé à entrer? J’en doute fort même si une partie du bâtiment est à ciel ouvert.
Par bonheur, l’office du tourisme se trouve presque en face de l’entrée du musée. Je vais poser la question à tout hasard dis-je à mon amie.
Bonjour madame, je voudrais savoir si, à tout hasard, les chiens sont autorisés dans le musée.
Une dame, bien mise, la cinquantaine un peu hautaine, probablement la responsable du lieu, me répond à la volée. C’est possible à condition qu’ils soient tout petits et que vous le portiez sur vous. J’indique, à travers la baie vitrée de l’office qui donne sur une grande esplanade, que mon chien, qui se trouve à une centaine de mètres avec Anna, ne saurait satisfaire sans doute à ces exigences même s’il est encore très jeune. Il n’est pas énorme mais quand même. Jugez vous même!
Oh qu’il est beau ce chien ! dit elle. On peut le voir de plus près ?
J’appelle Anna et lui demande de se rapprocher. Blasé, je suis habitué qu’on fasse l’éloge de mon chien que je trouve assez irrésistible avec son petit museau australien et ses taches blanches et fauves qui, ça et là, égayent sa robe noire et cela malgré un adorable bémol, une dissymétrie au niveau des oreilles, l’une totalement verticale, l’autre un peu cassée (elle l’autoriserait peut-être à figurer dans un album de Tintin quitte à faire de l’ombre à Milou).
Dès qu’il est à la portée de la dame, celle-ci se précipite sur le chien et crie à tue tête au milieu de la place : oh qu’il est beau! Et de le caresser avec énergie, tout en se frottant à lui.
A propos de mon chien, je ne vous ai pas parlé de son absence de queue (quand nous l’avons adopté il n’en avait pas comme d’autres dans sa fratrie, nous avait on dit, et, de ce fait, son postérieur est particulièrement exposé dans ses courses chaloupées et les mouvements ascensionnels de sa croupe) mais je suis étonné de voir ce que cette singularité anatomique provoque chez la dame de l’office qui devient quasi folle. Oh le kiki dit-elle et son employée d’accourir illico pour assister au spectacle en première loge. Oh le kiki, entends-je, sur tous les tons et cela finit par attirer les curieux qui assistent à la scène avec un sourire amusé.
Un attroupement se forme. Oh le kiki de plus belle.
Le chien frétillant au début paraît sidéré et même tétanisé devant tant d’ardeur. Il bâille. Je dois intervenir pour arrêter ce moment d’égarement et faire cesser cette triviale anaphore me dis-je.
J’exfiltre le chien.
Vous ne voulez pas me le laisser ?
On ne sait si cette demande est à prendre au premier degré comme une invitation à faire une visite sans notre chien. Mais on coupe court.
Au revoir madame.
Même si elle nous l’avait gardé gracieusement, le chien, pendant notre visite je ne l’aurais pas laissé, dis-je.
Ou alors il aurait fallu envisager après coup une longue psychanalyse canine dit Anna.

André Bellatorre

André Bellatorre

Il a assuré pendant deux décennies des cours de littérature contemporaine dans le cadre du DU d’écriture. Il y a cultivé la notion de métalepse narrative mise au jour par Gérard Genette. Il a publié deux ouvrages Le printemps du temps (avec Michèle Monte) et l’Aventure narrative (avec Sylviane Saugues) créé et collaboré à la revue d’écritures Filigrane, voilà pour l’écrit. L’oral ? Une communication au colloque de Cerisy. Il anime aussi des ateliers d’écriture buissonniers.

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    10 Commentaires

    • Dorio dit :

      J’ai d’abord lu l’histoire en me laissant guider par le narrateur. Un couple veut visiter le musée de la ville, mais il y a un hic, leur chien Renzo sera-t-il admis ? À tout hasard on fait la demande à la gardienne des lieux. La suite les lecteurs la connaissent, c’est une succession de kikis proférés par la muséologue qui perdant toute mesure franchit le seuil du vocable et passe à l’acte, terrorisant en s’y frottant notre pauvre chien. Si bien que comme dans les affaires humaines sensibles, le pseudo Milou doit être exfiltré par le narrateur salvateur.
      Lecture faite j’ai alors découvert le titre du billet : « Une esplanade en Bourgogne ». J’ai d’abord cru à un leurre. Mais à la relecture j’ai noté qu’il était question en effet d’une « grande esplanade que l’on voyait à travers la baie vitrée de l’office ». Et D. le lieu du psychodrame ne pouvait être que la capitale de la Bourgogne, Dijon « un musée à ciel ouvert » vanté par l’office de tourisme.
      On peut alors supposer que notre sympathique trio a pu oublier sa mésaventure en baguenaudant dans la cité offrant ses trésors artistiques et ouverte exclusivement aux bipèdes et quadrupèdes réconciliés.

      • André Bellatorre dit :

        Leurre ou pas la question reste ouverte.
        merci jean jacques

        • Laure-Anne dit :

          Tu as bien brouillé les pistes, André 😀 !
          Et que la zoophile en soit remerciée, elle a inspiré non seulement le père symbolique du kiki, mais ses lecteurs que la gaudriole canine semble réjouir autant que je le fus par la version orale originale de ce même récit puis par ses versions successives !
          Cave canem ! Non plus prends garde au chien, mais garde bien ton chien, le pauvre adorable puceau sans puces !

    • Richard G. et Bobby L. dit :

      Quand le kiki sans queue, la croupe ouverte aux quatre vents, est caressé par la dame coquette, c’est la cohue assurée, voire la chienlit !
      Curieux cynophiles de toutous anoures accourent illico de tous côtés.
      Oh le kiki ! Oh qu’il est beau ! caquette incongrument la perroquète cucul la praline.
      Il était où hein le youki ? s’exclame un quidam comme pour faire écho à un couplet connu.
      Dieu merci, le pépère du kiki coupe court et évacue le cabot.
      Un péquin crie alors à la dame ébaubie : Ton kiki t’a quittée…

      • André Bellatorre dit :

        Un rebond qui constitue une belle lecture. Oui la sonorité (K) mise en jeu dans le commentaire pallie l’absence de queue du chien anoure c’est virtuose.Les références en matière de chansons (Richard et Bobby sont heureusement convoqués) font mouche et me plaisent.

    • Sophie Chambon dit :

      Difficile de passer après les jeux poétiques et sonores de ces princes de la chanson.

      Interprétons à notre façon. Il semble que la scène se déroule à Beaune avec ses Hospices vernissés. Les Dijonnais qui connaissent le piquant et ont inventé
      le Kir n’auraient pas fait grand cas de ce chien sans queue.
      Amis des bêtes, ne jetez pas votre anathème sur moi. Plus encore qu’ au chien ( qui en a vu d’autres ) c’est à cette malheureuse qui a dérapé dans un tête à queue qui pourrait lui valoir la camisole après une sérieuse analyse…

      • André Bellatorre dit :

        L’interprétation à propos du lieu est convaincante mais c’est sans compter sur l’imagination du narrateur qui a pris le dessus. Le lieu dit n’est pas dit.
        Merci pour ce commentaire qui joue heureusement avec les mots. Beaucoup d’humour!

    • Sophie Chambon dit :

      Qu il faudrait s’en prendre.

    • Corine Robet dit :

      Merci pour ces affriolants tableaux de la vie tumultueuse de Renzo. Me vient en mémoire un vers de Walt Wittmann dans « Je demande » : « nos animaux nos maîtres en consentement »…que j’ai longtemps traduit par « nos maîtres en contentement ».
      Consentement, contentement…ne reste plus qu’à Renzo d’écrire sa version de l’affaire du kiki !
      Bises,
      Corine

      • André Bellatorre dit :

        Belle référence Corine que ce vers de Wittmann.
        Il ne me reste plus qu’à imaginer la scène en prenant le point de vue du chien. Ce serait une idée. A moins qu’il ne le fasse lui même (tu as raison) même s’il risque d’écrire comme un chat!

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