Je n’ai pas de souvenir précis de ma première rencontre avec la poésie, enfant. Elle a dû avoir lieu à l’école primaire, avec l’apprentissage par cœur d’un court poème un peu simplet. Je me souviens bien, par contre, de la manière dont les profs de français nous ont fait aborder la poésie, au lycée : aride et mécanique. Du comptage des pieds des vers au schéma des rimes (ah, les croisées, les embrassées !), en passant par le repérage des allitérations et assonances. Une fois que ces premières mesures du corps du poèmes étaient effectuées (« toujours commencer par-là »), on devait aller à la pêche aux figures de styles. À ce jeu, métaphores et comparaisons étaient les plus fréquentes, peut-être aussi les moins cotées. Je nous revois, recopiant une page entière de définitions de figures de styles, qui devait nous permettre de mieux les débusquer dans les textes qu’on nous soumettrait — du 19e siècle français, pour la plupart. La quasi-totalité de notre perception du poème était ainsi orientée vers la technique. Fastidieux, vide de sens.

Mon premier éblouissement poétique remonte à mes vingt ans. Je suis à la bibliothèque André Malraux, à Paris. Au hasard d’un rayonnage, j’avise l’Anthologie de la poésie irlandaise du 20e siècle, chez Verdier. Elle est publiée en trilingue : l’original en anglais ou en gaélique sur la page de gauche, la traduction en français à droite. Rythme, musicalité, beauté de la langue et souffle narratif : je suis ivre de bonheur. J’y découvre Seamus Heaney, Patrick Kavanagh, Eithne Strong. Je découvre (ignare que je suis) qu’Oscar Wilde fut poète, aussi. Et quel poète ! The ballad of Reading Gaol (La ballade de la geôle de Reading), dont l’anthologie reproduit des extrait, est le premier livre que j’achète uniquement en anglais par la suite. Peu importe si je ne comprends pas tout, le soir dans mon lit, je le lis en chuchotant pour faire sonner les vers.

Je commence à écrire sérieusement des poèmes au début de la vingtaine. La fréquentation, en 2007, de l’atelier d’écriture poétique à la Sorbonne mené, entre autres, par le poète Jean-Pierre Lemaire, m’offre une mise en pratique bienvenue. Les propositions d’écriture sont pensées et vivifiantes. Il est temps d’avancer, de travailler à un recueil, d’élaborer son architecture.

Mais moi, j’écris des histoires en poèmes, avec de l’oralité dedans, comme les Irlandais ! C’est le temps des coups dans la carcasse : je me heurte à la vision franco-française de la poésie comme « moment suspendu ». À cette éditrice que j’aborde lors d’une rencontre littéraire et qui, répondant à ma question « quel genre de poésie vous publiez ? » m’assène, le visage déformé par une moue de dégoût : « surtout pas de narratif ! » Un directeur de revue littéraire me renvoie le manuscrit du recueil que je lui avais soumis pour avis ; à réception (il ne pensait pas que j’allais lui demander de me le renvoyer), je découvre qu’il a souligné d’une petite vague dépréciative tous les signes d’oralité, tous les mots familiers et argotiques, comme un maître d’école rigide. Et ce grand ponte de la poésie qui me dit, suite à l’envoi d’un de mes poèmes : « votre poème est bon mais il y a trop de verbes. N’oubliez pas : le verbe appartient à la prose, le nom, à la poésie ». Idéologie stérile et étriquée…

Je pars vivre dans les pays baltes, laissant de côté l’écriture et un premier recueil dont, avec le recul, je suis bien contente qu’il n’ait pas été publié — il était vert, pas dessalé du tout !

À partir de 2016, je recommence à écrire. C’est aussi là que je commence à soumettre régulièrement des textes à des revues littéraires, de France et de Belgique : début d’une solide histoire d’amour, qui dure jusqu’à ce jour avec les revues littéraires… L’écriture d’un recueil de poésie prend du temps, sa publication, encore plus, parfois. Les revues — les hommes et les femmes qui les portent, et qui choisissent de publier telle sélection de poèmes avec un mot sur ce que ces textes leur ont inspiré — pavent cette attente, souvent torturante, de petites joies et de précieuse confiance.

Lorsque mon premier recueil, Le fil des traversées, est paru chez Gallimard en novembre 2019, ça faisait dix ans que j’écrivais.

Les conseils valent ce qu’ils valent. En voilà un : soyez tenaces.

 

 

Anna Ayanoglou

Anna Ayanoglou

Anna Ayanoglou est née en 1985. En 2011, elle part vivre en Lituanie puis en Estonie. Son premier recueil de poèmes, Le fil des traversées (Gallimard, 2019) se fait l’écho de ce long séjour balte. En 2020, Le fil des traversées reçoit le prix Révélation de la SGDL, et le prix Apollinaire découverte. Son deuxième recueil, Sensations du combat, paraît en mai 2022, toujours chez Gallimard. Gardant une distance prudente avec son Paris natal, Anna réside à Bruxelles où elle écrit et conçoit l’émission « Et la poésie, alors ? » sur les ondes de Radio Panik.

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