Des objets fétiches et des péripéties universitaires
Présentez-vous (2020), livre accordéon, 12 x 17 cm, 68 pages
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Les pages assemblées forment un accordéon grâce à une reliure cousue à la main avec un fil blanc. Cette forme choisie met l’accent sur la quantité de témoignages reçus, liant ainsi entre eux la multitude d’objets et autant de souvenirs qui y sont rattachés. Les participant(e)s démontrent ainsi que les souvenirs de certain(e)s se forment de manière similaire chez d’autres. Des objets plus communs sont apparus, et d’autres parfois plus singuliers. Ces objets sont souvent liés à des événements légers et touchants, tout autant qu’à des expériences plus graves. J’ai recueilli plusieurs exemples de poupées et de peluches, mais un seul bracelet ayant appartenu à une enfant récemment décédée. Nos objets, nos souvenirs et notre façon de nous présenter aux autres sont caractéristiques de notre individualité. Ils nous font souvent penser à nos parents, plus fréquemment à notre mère ; ils nous font penser à un être cher disparu et plusieurs fois à une relation amoureuse. La plupart des objets fétiches ici collectés proviennent de l’enfance et représentent, pour leur propriétaire, l’espoir d’un avenir heureux. Cela étant dit, j’ai remarqué quelques différences : il y a des carnets, un dé à six faces, une machine à coudre à pédale, un couteau, un arc à poulies utilisé pour se détendre, ainsi qu’un lot de cinq pots à épices que le mari d’une femme n’aime pas.
Une couverture plastifiée termine le livre et le ferme tout en le laissant apparaître comme s’il était ouvert grâce à sa transparence évidente. À travers un jeu de matières et d’opacités, il est possible d’apercevoir une partie du contenu du livre à partir de a couverture même fermée. Néanmoins, la vision complète de son contenu est impossible d’un simple coup d’œil, car les textes se superposent à l’aide du papier calque, brouillant ainsi la vue des lecteurices. Cela rend la lecture plus complexe et l’interdit totalement si le livre n’est pas déployé dans toute sa longueur ou simplement feuilleté dans son intégralité, ce qui souligne la notion de pudeur qui intervient dans le processus de dévoilement de soi. Le nombre de pages, leurs différences de poids mutuel entre le papier calque très fin et les pages en plastique rhodoïd plus épaisses, ainsi que leur assemblage en accordéon, contribuent à perturber encore plus la lecture du livre. On ne peut pas le feuilleter rapidement en raison de sa fragilité. Une fois déplié, le livre mesure un peu plus d’un mètre ; il s’ouvre et s’étend systématiquement s’il n’est pas manipulé correctement et avec attention. Cela signifie que l’exposition de soi est impossible lorsqu’elle n’est pas contrôlée. Le dévoilement de soi implique nécessairement un certain degré de pudeur. Entre rigidité et fluidité, fragilité et solidité, Présentez-vous reste néanmoins de taille assez petite pour être facilement transporté fermé et tenu en main : 12 centimètres de hauteur et 17 centimètres de largeur.
Il y a la volonté de m’effacer au maximum dans la réalisation plastique de ce livre. Transparence et opacité, blanc, noir. Netteté, simplicité et clarté. Recueillir et collecter, rendre compte, transmettre, sans y ajouter ma trace. Dans cette collection de récits intimes, j’ai tenu à ne pas altérer les textes ; ils sont présentés tels qu’ils ont été écrits. Je n’ai modifié aucun style d’écriture afin de préserver ce que Philippe Lejeune nomme une « trace vivante de la personnalité et de l’instant ». Les fautes d’orthographe et autres erreurs de grammaire ou de syntaxe sont intactes. Elles donnent vie à la touche personnelle de mes auteurices anonymes, la marque de celles et ceux qui « voudraient être lus mais […] ne veulent pas s’exposer aux yeux de tous » (j’emprunte ici une formulation appartenant à Anne Cauquelin).