Rufin, l’ivresse et la vieillesse
Il n’y a rien à dire sur Rufin. Peut-être écrivit-il les quarante-huit poèmes d’amour que nous procure l’Anthologie palatine aux alentours du IIème siècle. Comment savoir ? Seuls demeurent ces jolis poèmes, pleins de fougue et de charme. Son goût particulier du vin et des jeunes filles le rapproche d’Omar Khayyam, mais c’est de Ronsard qu’il semble le plus près, pour avoir très tôt interpellé les belles courtisanes se refusant à lui. Pensez que vous serez vieilles un jour, leur dit-il en substance.
………………………………..………………………V. 12
Λουσάμενοι, Προδίκη, πυκασώμεθα, καὶ τὸν ἄκρατον ἔλκωμεν κύλικας μείζονας αἰρόμενοι.
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Βαιὸς ὁ χαιρόντων ἐστὶν βίος · εἶτα τὰ λοιπὰ γῆρας κωλύσει, καὶ τὸ τέλος θάνατος.
Une fois baignés, Prodikée, couvrons-nous ! Et le vin pur, versons-le dans les coupes trop grandes que nous avons prises
Bien court est le temps des plaisirs, et puis, ce qu’il en reste, la vieillesse l’écarte… et au terme la mort.
………………………………..………………………V. 21
Οὐκ ἕλεγον, Προδίκη, « Γηράκομεν » ; Οὐ προεφώνουν » Ἥξουσιν ταχέως αἱ διαλυσίφιλοι » ;
Νῦν ῥυτίδες καὶ θρὶξ πολιὴ καὶ σῶμα ῥακῶδες, καὶ στόμα τὰς προτέρας οὑκέτ’ ἔχον χάριτας.
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Μή τίς σοι, μετέωρε, προσέρχεται, ἢ κολακεύων λίσσεται ; Ὡς δὲ τάφον νῦν σε παρεσχόμεθα.
Ne disais-tu pas, Prodikée, “nous vieillissons” ? Ne prédisais-je pas : “la venue des dénoueuses d’amour” ?
Maintenant tu as des rides, des cheveux blancs, et ton corps en lambeau comme ta bouche n’ont plus leurs grâces d’autrefois.
Y a-t-il donc quelqu’un pour t’aborder, ô météore, ou pour te supplier de mots d’amour ? Non, maintenant on passe devant toi comme un tombeau.
………………………………..………………………V. 27
Ποῦ σοι κεῖνα, Μέλισσα, τὰ χρύσεα καὶ περίοπτα τῆς πολυθρυλήτου κάλλεα φαντασίης ;
ποῦ δ’ ὅφρυες καὶ γαῦρα φρονήματα καὶ μέγας αὑχὴν καὶ σοβαρῶν ταρσῶν χρυσοφόρος σπατάλη ;
Νῦν πενιχρὴ ψαφαρὴ τε κόμη, παρὰ ποσσὶ τραγεία · ταῦτα τὰ τῶν σπαταλῶν τέρματα παλλακίδων.
Où donc sont tes ors de jadis, ô Melissa, et les beautés tant évoquées de ton visage offert à nos regards ?
Et où sont tes sourcils, tes airs si fiers, ta gorge plantureuse, et les pendants d’or à tes chevilles hautaines ?
Ta chevelure, maintenant, rare et caduque, à tes pieds une peau de bouc… Voici la fin des courtisanes fastueuses !
Il faut passer à l’époque le sexisme du propos, comme si monsieur le locuteur était au-delà du temps et que peu importât sa propre décrépitude ..comme on passe à Villon les regrets de la Belle Heaulmière… Et en quelque manière, ces quelques vers pour la vie, contre les vers, comme Ronsard, bien sûr…
Voir Montaigne, en chair et en os, article Ariane Beth
(Ne faudrait-il pas traduire Οὐκ ἕλεγον par « ne disais-je pas » plutôt que « tu » ? Les 2 formules sont symétriques, non? mais mon grec est bien vieux…
Bien charmants ces fragments, un grand merci de les partager et les traduire…