Bref florilège, en forme de « je me souviens », de silences de qualité singulière :

Ceux que les « ambiances sonores » dépriment, que rend fous le bruit des tronçonneuses et des politiciens, etc. pourront toujours rêver d’une retraite plus silencieuse en lisant – et pourquoi pas en allongeant – la liste, ci-dessous, de quelques silences exceptionnels, recueillis dans les livres et ailleurs…
Quoi de plus « fragile » ?

Je me souviens du silence …
…que réclame – à voix de stentor : « Silenzio ! » – le chef de plateau de F. Lang, à la fin du Mépris, le film de J-L Godard, tandis qu’ Ulysse, en partance pour l’azur, brandit son glaive vers l’infini du ciel et de la mer …

Je me souviens du silence….
…abrupt, terrible, dans lequel nous plonge la dernière phrase du Terrier, la nouvelle inachevée de Kafka…
« Tant que je ne savais rien d’elle, elle ne peut absolument pas m’avoir entendu car je restais silencieux; il n’y a rien de plus silencieux que les retrouvailles avec le terrier; ensuite, quand j’ai fait mes sondages, elle aurait pu m’entendre bien que ma façon de creuser fasse très peu de bruit; mais si elle m’avait entendu, je m’en serais forcément aperçu car elle aurait dû s’arrêter souvent dans son travail pour tendre l’oreille,  »

Je me souviens du silence …
… métaphysique et pas si différent du précédent, dans lequel Hugo, au milieu de son poème La Comète, précipite le malheureux Halley :
(…)« Ce jouet des vivants tomba dans l’ouverture
De l’inconnu, silence, ombre où s’épanouit
La grande paix sinistre, éparse dans la nuit ; » (…)

Je me souviens du silence…
…divin (n’en déplaise à Alcmène) qu’ à l’entracte de l’Electre de Giraudoux, à la fin de son Lamento, le jardinier obtient de(s) Dieu(x) frappé(s) de stupeur, devant un public d’enfants retenant leur souffle :
« Moi ça toujours été les silences qui me convainquent. Oui, je leur demande de ne pas crier joie et amour, n’est-ce pas ? S’ils y tiennent absolument, qu’ils crient. Mais je les conjure plutôt, je vous conjure, Dieu, comme preuve de votre affection, de votre voix, de vos cris, de faire un silence, une seconde de votre silence…C’est tellement plus probant. Écoutez…merci. »

Je me souviens du silence…
…d’Emma abasourdie par la surdité de l’abbé Bournisien :
« Mais vous me demandiez quelque chose ? Qu’est-ce donc ? Je ne sais plus .
– Moi ? Rien…, rien… , répétait Emma.
Et son regard, qu’elle promenait autour d’elle, s’abaissa lentement sur le vieillard à soutane. Ils se considéraient tous les deux, face à face, sans parler. »

Je me souviens du silence….
… de fourmis des personnages de L’’île nue, le film sans dialogues de Kaneto Shindo.

Je me souviens du silence …
…de Junie bâillonnée par Néron, de Néron foudroyé par Junie :
« Que veux-tu ? Je ne sais si cette négligence,
Les ombres, les flambeaux, les cris et le silence,
Et le farouche aspect de ses fiers ravisseurs
Relevaient de ses yeux les timides douceurs.
Quoiqu’il en soit, ravi d’une si belle vue,
J’ai voulu lui parler, et ma voix s’est perdue »…

Je me souviens des silences…
… de Winnie et Willie enlisés dans les sables de Oh ! les beaux jours .

Je me souviens du silence…
… ricaneur du Tueur (sans gages) de Ionesco.

Je me souviens du silence… .
…qui revient quand la sarabande des Djinns s’évanouit :

« On doute
La nuit…
J’écoute : –
Tout fuit,
Tout passe ;
L’espace
Efface
Le bruit. »

5 Commentaires

  • Ariane Beth dit :

    Belle idée de nous faire parcourir cette série de silences et leurs différentes ambiances !
    Puisque tu le suggères, j’ai envie d’ajouter à ta liste un autre silence, celui de Langlois (Un Roi sans divertissement) : « Langlois s’est avancé, pas à pas, jusqu’à être à trois pas en face de l’homme. Là, ils eurent l’air de se mettre d’accord, une fois de plus, l’homme et lui, sans paroles. Et, au moment où (…) l’on allait crier : ‘Alors, qu’est-ce que vous faites ?’, il y eut une grosse détonation et l’homme tomba. » Fabuleux moment de tension.
    Un silence qui annonce la même scène entre Langlois et le loup lors de la battue « au fond de Chalamond ».
    Et qui amène au silence dans lequel le lecteur referme le livre, sonné, après la détonation finale. (ça me le fait à chaque relecture).

    • Jean-Marie dit :

      Cette dernière phrase « retentit » longtemps, en effet, dans la mémoire du lecteur.
      Je me réjouis de voir que de tels silences peuvent « faire écho » entre eux.
      Merci.

  • Laure-Anne F-B dit :

    Oui merci pour cette liste dont certains items me sont à découvrir. Je ne résiste pas à ajouter un silence mortifère, plein de passion, et qui n’hésite pas à finalement, couper le sifflet. Cher Racine…Juste une pensée pour que vivent les langues mortes et leurs réticences résistantes :

    « Non, je ne puis assez admirer ce silence.
    Vous vous taisez, Madame, et ce cruel mépris
    N’a pas du moindre trouble agité vos esprits !
    Vous soutenez en paix une si rude attaque,
    Vous qu’on voyait frémir au seul nom d’Andromaque !
    Vous qui sans désespoir ne pouviez endurer
    Que Pyrrhus d’un regard la voulût honorer !
    Il l’épouse, il lui donne, avec son diadème,
    La foi que vous venez de recevoir vous-même,
    Et votre bouche encor, muette à tant d’ennui,
    N’a pas daigné s’ouvrir pour se plaindre de lui ?
    Ah ! que je crains, Madame, un calme si funeste,
    Et qu’il vaudrait bien mieux…

    HERMIONE
    Fais-tu venir Oreste ? »

    • Jean-Marie dit :

      …et c’est ainsi que la « collec » de silences dorés s’enrichit de celui …qui précède la tempête !

  • l'heveder jacqueline dit :

    Magnifique tirade, riche de ses liens avec les auteurs de mots, qui parlent du silence.
    Quel bonheur d’avoir déterré cet os majuscule et de nous en faire profiter.

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