Songe à la douce heure

de

Guillaume Curtit

éditions de La Crypte

(2022)

1 Sur la lecture dans l’écriture

« va

cherche ton nom

………………………bre

compte sur elle »

(p. 46)

Le deuxième livre de Guillaume Curtit, songe à la douceur, puise son titre d’un vers de Baudelaire et se clôt sur une citation de Verlaine : « De la douceur, de la douceur, de la douceur ! » Et pourtant, aucun de ces deux poètes n’est son véritable modèle…

G.C. : Le XIX siècle est vraiment pour moi le siècle de référence en poésie, sans doute parce que c’est le siècle de l’avènement de la modernité avec Baudelaire, mais surtout parce que c’est la poésie qui m’intéresse. Ces poètes sont ceux qui m’accompagnent un peu tous les jours… Ce sont des auteurs comme Rimbaud qui m’ont ouvert à la littérature et à la poésie. Si je ne devais en retenir qu’un qui m’est cher, c’est bien Rimbaud

« la beauté de de l’insupportable

elle est indécente

son intégrité nous agresse

on voudrait l’humilier

la souiller

la normaliser

la faire nôtre » (p. 52)

« Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l’ai injuriée. » Rimbaud, Une saison en enfer.

G.C. : Rimbaud était mon premier coup de massue dû à une lecture. J’ai longtemps essayé, avant d’écrire de la poésie, d’écrire d’après Rimbaud : des sortes de pastiches pour essayer d’écrire à sa manière, d’être imbibé de ce verbe-là que je trouvais absolument révolutionnaire et incroyable.

Ensuite, j’ai essayé de tenir Rimbaud à distance. On m’a fait le reproche, surtout pour le premier livre [L’Aire de rien, Unicité, 2020], de faire un peu du Rimbaud. Mon écriture personnelle avait du mal à s’émanciper hors du carcan de l’écriture rimbaldienne. Comme ça : très insolente, et qui revendique une certaine fougue…

2 Le sale gosse qui fait de beaux vers

« voilà qu’il grêle

il revêt parfois comme une sale allure

de chienne finie à la pisse » (p. 14)

Il y a une voix dans ce livre, coquine, malicieuse quoique naïve, joueuse. Mais aussi réflexive, émerveillée, mystique. Difficile à concilier, tout cela… Une formule s’est imposée à nous lors de notre discussion : un sale gosse fait de beaux vers.

G.C. : S’il y avait à revendiquer une posture ce serait celle-là.

Ce que j’aime vraiment, ce que j’essaye de cultiver (disons : de travailler), c’est l’idée d’être un peu espiègle, de piquer par l’humour. Comme tu dis : d’écrire de beaux vers (je ne sais pas si je fais de beaux vers…) et puis une sorte de gravité qui passe par un trait d’humour qui n’a en fait, au fond, rien de drôle des fois. C’est ce que j’essaye de faire. Que le lecteur se sente presque gêné de rire, ça me plaît bien.

Comme dans le poème de la page 21, où un enfant reçoit la seule réponse qui vaille à la question « pourquoi il est mort ? » : « c’est comme ça ». Le poème finit ainsi : « le gamin loin d’être / con/ damné / a prix dix ans pleine poire »

G.C. : Oui, ce poème-là exprime ce que j’essaye de dire. Une sorte de drôlerie tragique. L’idée de sale gosse me plaît bien. Ce gamin fait mine d’être innocent mais ce n’est pas un idiot non plus. Mais quand-même, il encaisse.

3  De la poésie comme cage de résonance

« cousinade

tout le monde dans le jardin

tout le jardin dans l’assiette

même une marguerite pour décorer

et cerise sur le gâteau

après le café

la chanson d’un petit neveu

pendant la partie de tarot » (p. 29)

On peut aussi dire que que la voix de poète de Guillaume Curtit est une voix chargée de voix. Elle est presque polyphonique. On y entend tout un village qui s’anime, qui parle. On peut le dire, mais lui il ne le dirait pas.

G.C. : Souvent j’ai du mal à me dire poète (je préfère à la limite qu’on dise : auteur, parce que, voilà, il y a des livres). Ça me gêne un peu. Quand on dit poète c’est souvent chargé de connotations… romantiques en fait.

Le poète dans le milieu populaire n’est pas toujours bien reçu, c’est un peu le rêveur, qui peut donner l’impression de trahir, de ne plus être terre-à-terre. Ce n’est pas cette posture-là que j’ai envie d’incarner.

J’ai d’autant plus de mal à me dire poète du fait que j’ai l’impression que la poésie ne vient pas de moi, que les vers ne viennent pas de moi, mais justement que je vais la chercher dans tout ce qui m’est cher.

Je me dis qu’il y a de la poésie partout. Et ce qui m’intéresse d’autant plus, c’est la poésie dans ce qu’il y a parfois de plus rural, là où certaines personnes ne pourraient voir aucune poésie. Des gens qui n’ont jamais lu de la poésie sont parfois plus poétiques que les gens qui s’y intéressent et qui écrivent ensuite une thèse.

Je me vois plus comme un rassembleur qui recueille, comme si, comme ça, quelques paroles populaires que j’adore et que j’essaye d’utiliser.

« d’ailleurs me voici

en forme

sous vos yeux

pour vous servir » (p. 71)

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Songe à la douce heure, Guillaume Curtit,

éditions de La Crypte (2022)

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