Le monde comme volonté et comme représentation est un titre qui peut évoquer disons la philosophie de dissertation, une scolastique abstraite et vaine, pourtant honnie de Schopenhauer.
On admettra certes que c’est un titre plus accrocheur que La maladie à la mort de ce joyeux drille de Kierkegaard. Mais on avouera qu’avec Le gai savoir y a pas photo.
Preuve s’il en fallait que le pauvre Arthur n’avait pas grand talent pour la communication. Si sa pensée a fini par trouver de l’écho, c’est que des lecteurs de bonne volonté (du moins il faut se les représenter tels) ont suivi son conseil :
« Qui veut se familiariser avec ma philosophie doit lire jusqu’à la moindre ligne de moi. J’ai cette prétention.
Car je ne suis pas un écrivailleur, un fabricant de manuels, un griffonneur à gages ; je ne suis pas un homme qui, par ses écrits, recherche l’approbation d’un ministre, un homme enfin dont la plume obéisse à des visées personnelles :
je ne fais effort que vers la vérité, et j’écris, comme écrivaient les anciens, dans l’unique intention de transmettre mes pensées à la postérité, pour le profit futur de ceux qui sauront les méditer et les apprécier. »
(Le monde comme volonté et comme représentation)
Perso ce qui m’accroche ici n’est pas le mot vérité : tous les philosophes parlent super bien de vérité. Comme les politiciens d’unité et de probité ou les religieux d’amour universel. Après, en philo et ailleurs, entre dire et faire …
Mais griffonneur à gages faut avouer que c’est bien trouvé. Bon, les visées personnelles de la plume ça fait un peu jeu de fléchettes (avec pour cible Hegel qui d’autre ? J’imagine qu’il l’avait aussi en version poupée vaudou).
J’ai cette prétention : ça, c’est irrésistible. La véritable humilité se moque de l’humilité.
Bref on peut se plonger dans le monde de Schopenhauer sans crainte : ça se lit sans peine et souvent avec plaisir. Ça n’est pas toujours aussi percutant que Nietzsche, forcément.
Injustice de la chronologie : Nietzsche a pu se nourrir de Schopenhauer, mais pas l’inverse. C’est comme Spinoza avec Descartes.
« À propos de Spinoza, laisse-moi te dire, Arthur, que tu ne lui rends pas suffisamment justice. Tu dis qu’il n’y a pas de progrès dans la pensée philosophique entre Kant et toi. Peut être, mais ajoutons que Kant, toi, Nietzsche, Freud, vous êtes déjà dans Spinoza (qu’est-ce qui n’est pas dans Spinoza ?) Et je pourrais le démontrer. J’ai cette prétention …»
Ah ah vous avez eu peur, hein ?
Rassurez-vous je ne suis pas philosophe de dissertation. Quoique. Si on me demandait gentiment de griffonner (à condition que ce soit à gages, naturellement), va savoir … Aussi bien je serais prête à écrire même sur …
– Hegel ?
– Je suis pas maso non plus …
Image par elizadiamonds de Pixabay
Plus ça va, plus tes fragments de portraits d’Arthur et de sa pensée me font penser à Jean-Jacques (puisqu’on en est aux privautés des prénoms), à son côté mauvais coucheur et un peu parano. Misanthrope gentil, papa de chien de fourrière, qui n’aurait rien contre le fait d’être admiré, avec un côté grande coquette, méritez-moi, j’ai cette prétention…
Mais quid du ressentiment? Pourquoi a-t-il tant besoin de régler des comptes?
Sur la question d’un tel besoin de régler des comptes, difficile à dire, il faudrait connaître le détail de sa vie. Mais selon toute probabilité (cf 4/15) derrière l’amer il y a (quelque chose avec) la mère (pour le jeu de mots bien sûr, disons le parent en général). Ce qui effectivement n’est pas sans rapport avec l’ami Rousseau … Avec lequel je me sens en grande empathie aussi. (Signe à n’en pas douter de ma propre arithmétique névrotique, mais peu importe).
Voyons le verre à moitié plein : »Du contrat social » est une oeuvre ardente et inspirée, fort utile à penser la démocratie, même s’il est évident qu’elle prend racine dans la paranoïa de son auteur. Une sublimation réussie, dirait Papa Sigmund.