« Ce petit traité est extrait d’un ouvrage plus étendu, entrepris autrefois sans avoir consulté mes forces, et abandonné depuis longtemps. Des divers morceaux qu’on pouvait tirer de ce qui était fait, celui-ci est le plus considérable, et m’a paru le moins indigne d’être offert au public. Le reste n’est déjà plus. »

Quel est donc ce petit traité présenté de façon si désabusée par son auteur ?

Traité oui petit non. Pas très long c’est vrai, mais au plan du contenu le petit traité est un livre majeur. Non seulement il ne cesse de susciter réflexions et commentaires, mais il a eu des incidences historiques, dans la vraie vie.

Son titre : Du Contrat social (Rousseau 1762), pour lequel m’est venue cette anagramme : accord liant tous. Les anagrammes ça marche toujours. Étonnant, non ?

« Né citoyen d’un état libre (…) quelque faible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d’y voter suffit pour m’imposer le devoir de m’en instruire. » (DCS Intro livre I)

Droit de voter, devoir de m’instruire. Slogan qui serait moins que jamais superflu à l’entrée des isoloirs.

M’instruire est un mot fort. Il ne s’agit pas seulement de s’informer. Ce qui serait déjà pas mal à vrai dire. Entendons information factuelle, plurielle, précise, et non consommation pulsionnelle de rumeurs de préférence complotistes, d’images trafiquées, de discours démagogues et polémiques.

S’instruire dans les affaires publiques c’est travailler à construire son être-citoyen(ne). Il nous est acquis de naissance (chanceux que nous sommes au regard d’autres périodes historiques ou d’autres lieux du monde). Il nous reste la responsabilité (légale, et surtout éthique) de l’exercer au mieux.

Pour cette instruction en citoyenneté, le petit traité est un livre fort utile en tant que mode d’emploi de la démocratie.

Rousseau la présente comme une création magnifique mais terriblement fragile, car c’est une mécanique de précision. Il s’emploie à en décrire le kit de montage, les rouages et la logique de fonctionnement.

À propos écartons d’emblée un contresens. Du Contrat social ne relève pas d’un fantasme romantico-suisse de démocratie directe et immédiate. Au contraire il démontre qu’il n’est de démocratie viable, et même véritable, que moyennant médiations, règles, procédures.

Elle est confrontée à un défi de taille : établir et maintenir la liaison de deux pôles aussi essentiels que contradictoires.

« Je veux chercher si dans l’ordre civil il peut y avoir quelque règle d’administration légitime et sûre, en prenant les hommes tels qu’ils sont, et les lois telles qu’elles peuvent être. Je tâcherai d’allier toujours dans cette recherche ce que le droit permet avec ce que l’intérêt prescrit, afin que justice et utilité ne se trouvent point divisées. » (DCS Intro livre I)

Posés d’emblée, les couples en chamaille : droit/intérêt, justice/utilité. Trouver l’accord les liant ? Pas gagné, qu’il se dit JJ, d’où le volontarisme prudent de sa formulation je veux chercher, s’il peut y avoir, je tâcherai.

PS : en complément du petit traité, trois livres récents, bons repères pour lire l’état actuel de la démocratie, et tenter de discerner les pistes de sa sauvegarde.

Le siècle du populisme de Pierre Rosanvallon Seuil 2020

L’ère de l’individu tyran d’Éric Sadin Grasset 2020

Le populisme au secours de la démocratie ? de Chloé Morin Gallimard le Débat 2021

Image par Gerd Altmann de Pixabay

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