« Mieux vaut encore, pour vivre à son aise, éviter l’action qu’y prendre plaisir et, pour préserver son intégrité, ne pas avoir d’aptitudes qu’en avoir beaucoup. »
Hong Zicheng (Propos sur la racine des légumes II, 2)
Voilà qui m’évoque la fameuse boutade de Keynes rétorquant aux objections dilatoires faites à ses propositions « C’est vrai que de toutes façons à moyen terme on sera tous morts ».
Préserver son intégrité, sa pureté en renonçant à faire quoi que ce soit. Et si par hasard on agit, mettre en œuvre aussi peu d’aptitudes que possible. Je vois bien le prof disant à l’élève : « écoute, petit, surtout ne cultive pas trop tes aptitudes, tu y perdrais ton intégrité. »
Hong n’irait pas jusque là bien sûr. Et la sagesse orientale a ses qualités, soit. Zénitude, acceptation des choses comme elles sont, pas d’agitation superflue.
Oui c’est sûr : ne rien faire est le meilleur moyen de ne pas se tromper dans son agir, et la meilleure façon de vivre à son aise est encore d’être mort. Le principe de plaisir (annuler la perturbation du désir) dans sa version définitive.
C’est une sagesse, oui, mais une sagesse immobile.* Et c’est là que ça coince pour moi. Névrose sans doute, in-quiétude invétérée, l’immobilité m’est inconfort. En fait, la phrase de Hong m’évoque en négatif un autre texte.
« Qui sait ce qui est le mieux pour l’humain, pendant les nombreux jours de sa vaine existence qu’il passe comme une ombre ? » demande Qohélet l’ecclésiaste (6,12). Et la réponse qu’il (se) donne :
« Tout ce que ta main se trouve capable de faire, fais-le par tes propres forces ». (9,10)
Voilà qui me parle davantage, ça m’incite à me bouger quand j’ai envie de baisser les bras (c’est à dire souvent trop souvent).
*Voilà qui me fait penser à certaines pages de Yoga, d’Emmanuel Carrère (P.O.L. 2020). Livre aussi intéressant qu’agaçant, comme toujours. EC est narcissique, impudique, mais avec une authenticité, une intelligence, une probité d’écriture – qualité rare chez un narcisse – qui finissent toujours par me toucher.
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Là encore, je vois combien ce n’est pas de cet orient extrême que mes essais de sagesse se réclament, malgré l’engouement général pour la méditation ataraxique, qui n’est peut-être qu’une forme un peu machiavélique et jusquauboutiste du consumérisme, même s’il m’apparaît aussi que pour bien des gens c’est une façon de se mettre en mode survie ou d’arriver à se (re)poser.
Je ne pense pas qu’il soit a priori névrotique d’être dans l’in-quiétude, je crois que c’est l’honneur de l’humain, parfois certes cher payé, j’en conviens… car il est vrai qu’il s’en faut de pas grand chose pour que cette in-quiétude, celle qui nous autorise le désir d’ailleurs, d’autrement, de demain, et nous invite à regarder derrière par-dessus notre épaule, ne devienne angoisse insupportable et paralysante. Le jeu de la conscience, pour moi, est moins de s’absenter dans le grand tout pour survivre, que d’apprendre à survivre dans cette intranquillité qui donne envie de créer, de donner, d’aimer, de recevoir, de s’inquiéter aussi de l’autre. Qu’en pensez-vous, chère Ariane, (même si vous avez répondu avec ces belles phrases de l’Ecclésiaste)?
Vous comprendrez pourquoi je ne me suis pas laissé tenter par la lecture de Carrère, les narcissiques, même lucides, sont pour le coup inutilement fatigants, je trouve. Mais je devrais sans doute le laisser m’intranquilliser un peu!
Bravo pour cette belle formule : l’in-quiétude comme « l’honneur de l’humain ». C’est ça.
En fait je n’ai pas tellement plus à dire que ces phrases si fortes de l’ecclésiaste*. Sauf peut être la phrase encore plus forte de Spinoza « Par réalité et par perfection j’entends la même chose ». je crois qu’on n’a jamais rien écrit de plus humain.
*pour d’éventuels amateurs, voir la lecture que je viens d’en faire dans mon blog.
Ah chère Ariane, encore merci de ce fil tiré qui par ces « hasards » curieux, rejoignaient mes pensées du petit matin.
L’in-inquiétude est pour moi la malédiction, le malheur de l’humain. Le livre de l’intranquillité, « bizarrement 😘rebaptisé le livre de l’inquiétude en est sans doute la plus belle preuve .
Je ne pense pas que l’on arrive au bonheur en ne faisant rien, à moins d’accéder à la sagesse orientale par diverses pratiques et disciplines…vous voyez où je veux en venir, et un retrait du monde. Pas facile.
Mais des expressions comme « vivre c’est risquer » m’ont toujours quelque peu irritée. On est sur ce versant ou non et de toute façon, la vie nous remue qu’on le veuille ou non.
Une certaine immobilité acceptée me plairait bien. Hélas, chère Ariane, quand j’ai envie de baisser les bras, rien ne pourrait me faire agir… je serais plutôt du côté de cette boutade: « Vivons heureux, vivons cachés et j’ajouterais volontiers, cachés ».
Quant à Carrière, si certains de ses livres m’ont plu et même plus que cela, je ne marche plus actuellement. Quelque chose résiste à l’écoute de ses confessions, il ne m’intranquillise pas du tout…car je mets en doute (souvent) certaines paroles ou/et écrits.
Un petit lapsus? Vivons heureux, vivons cachés, vivons couchés….la verticalité n’est pas mon fort 😘
Merci de ta lecture et de ton partage, Sophie. Je comprends ton agacement devant la déclaration vivre c’est risqué etc. C’est vrai on n’a pas le choix en fait.
Mais l’affrontement (ou l’assignation) au risque varie tout de même selon les vies il me semble. Et du coup personnellement je pense que ça dépend qui nous le dit, sur fond de quelle expérience réelle, et dans quelle intention. (D’ailleurs tu verras, cette question viendra lors de la prochaine intervention de Monsieur Hong).
Je l’entends comme consolation (au sens propre, le fait qu’on me fasse comprendre que je ne suis pas seule) de ceux et celles qui savent de quoi il retourne « pour de vrai ». Mais c’est insupportable de la part de ceux qui minimisent votre douleur tout simplement parce qu’ils ne peuvent se la représenter.
Après, vivre couchée, euh vraiment c’est pas mon truc. Moi je me couche toujours en me disant « vivement demain matin que je me lève » … (C’est grave hein ?)