Ce qui est déterminant dans l’enamoramento ?  (demandais-je à la fin du précédent article, bien consciente de provoquer un suspense insoutenable)

Freud répond : L’identification (Psychologie des foules et analyse du moi. Titre chap.7)

Il en résume ainsi le processus :

« Premièrement, l’identification est la forme la plus originaire du lien affectif à un objet. » Un lien étrangement indécis entre le désir d’être ou d’avoir l’objet, de se l’assimiler. Caractère visible dans la phase orale (le bébé avec le sein), mais qui peut s’inscrire culturellement, dit-il. « Le cannibale, comme on sait (…) aime ses ennemis jusqu’à les dévorer, et ne dévore pas ceux qu’il ne peut aimer d’une manière ou d’une autre. »

(On va lui laisser la responsabilité de cette interprétation pour les cannibales avérés. Mais c’est vrai que ça se défend pour le cannibalisme disons symbolique, dans les relations d’emprise par exemple).

« Deuxièmement, par voie régressive (à l’oralité), elle devient le substitut d’un lien objectal libidinal (celui de la phase dite génitale) en quelque sorte par introjection de l’objet dans le moi. »

Le sujet s’approprie alors un trait de son objet d’amour/intérêt (comportement, langage, apparence, opinion) qui en est pour lui la marque caractéristique. (Einzige Zug écrit Freud, un certain trait, Lacan traduira trait unaire). C’est le moyen de l’avoir toujours avec lui, de ne jamais en être séparé.

En quoi l’adoption du trait unaire évoque un tatouage genre à Maman pour la vie (pour rester dans une note oedipienne).

« Troisièmement, elle peut naître chaque fois qu’est perçue à nouveau une certaine (einzige) communauté avec une personne qui n’est pas objet des pulsions sexuelles. Plus cette communauté est significative, plus cette identification partielle doit pouvoir réussir et correspondre ainsi au début d’un nouveau lien. »

C’est à ce troisième axe d’identification que Freud rapporte le lien réciproque entre les individus de la foule. Soulignons réciproque (gegenseitige) : le lien se fait d’individu à individu, et la foule se construit en tant que telle (comme nouveau lien) par intégration de ces liens successifs.

L’atteinte d’un niveau significatif des réciprocités mises en œuvre, celui qui sera à même de créer le nouveau lien (l’enfoulement à proprement parler), dépend donc du type du trait qui fait reconnaissance. Plus il sera simple, facile à percevoir et à reproduire, plus vite et plus fortement il soudera la communauté.

Slogans en guise d’explication du monde et de programme d’action, désignation de personnes ou groupes dont l’écartement, voire l’élimination, serait nécessaire à la cohésion et à l’identité de ladite communauté : les exemples historiques et contemporains de ces modes d’enfoulement ne manquent pas.

image par David Mark (Pixabay)

2 Commentaires

  • Laure-Anne Fillias-Bensussan dit :

    Eh oui ! cette identification est une autre façon de formuler le fameux désir mimétique girardien ou vice-versa, avec cette nécessité de se défouler sur celui qui fait tache, qui ne peut être enfoulé.
    On est bien peu de choses, mais le savoir ne peut pas nuire.

  • Jacqueline L''heveder Guaffi dit :

    Oui, prendre l’autre ou à l’autre se fait de tant de façons, et devient un tel enjeu pour « l’incomplet permanent » que sont certains êtres. Car il s’agit d’étendre un pouvoir bien souvent inassouvi à tout, à tous et d’activer les mandibules, non parce qu’on a réellement faim mais parce qu’on aime broyer avec les mandibules, et se sentir tellement « plus » . C’est ce qui me préoccupe, et différemment de Laure- Anne.

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