« n°252 : Plutôt débiteur.

‘Plutôt demeurer débiteur que payer d’une monnaie qui ne porte pas son effigie !’ – ainsi le veut notre souveraineté. » (Troisième livre)

Une éthique de bon aloi : assumer de répondre de sa dette (ou culpabilité, l’allemand dit Schuld dans les deux cas) plutôt que de se dédouaner en fausse monnaie de faux-self.

« n°255 : Imitateurs.

A : ‘Comment ? Tu ne veux pas d’imitateurs ?’

B : ‘Je ne veux pas que l’on me copie en quoi que ce soit, je veux que chacun s’invente quelque chose pour lui-même : exactement comme je le fais moi.’

A : ‘Et donc – ?’ » (Troisième livre)

Il est bouché, ce pauvre A (j’espère que c’est pas A comme Ariane). C’est pourtant clair. Il y a l’imitation de recettes, l’imitation-répétition du perroquet, du singe (métaphore convenue, injuste j’en conviens envers ces animaux). Et puis il y a la reprise, non des recettes mais de la démarche créatrice. Démarche qui meut l’être en tant que personnalité unique (le  »moi » souligné par Nietzsche).

Et donc, – A, tu inventeras quelque chose par et pour toi-même. Et par là tu seras source d’inspiration pour d’autres encore. Et ainsi de suite.

« n°257 : Par expérience.

Plus d’un ignore à quel point il est riche jusqu’à ce que l’expérience lui apprenne que les plus riches se font encore voleurs à son égard. » (Troisième livre)

Aphorisme applicable à bien des situations, mais je m’arrête sur le titre Par expérience. En relisant ce Gai savoir je suis frappée par un trait de la personnalité de Nietzsche, que je n’avais pas pesé jusqu’ici : c’est un être sans défense.

Je sais ça peut paraître étonnant, au vu de ses provocations, du côté brut et à l’emporte-pièce de sa pensée. Mais si tout ceci était précisément la recherche d’une défense, d’une protection, pour qui se sait exposé, par son hypersensibilité et l’extrême acuité de son intelligence, à tous les grossiers malins et sans états d’âme ? Et suivant son principe de physiologie, on peut voir un indicateur de ce désir de défense dans l’exhibition sur sa face de sa moustache monstrueuse (c’est le mot non?), qui semble proclamer à celle du monde « qui s’y frotte s’y pique ». Moustache de dur qui cependant ne parvient pas à contredire la tendresse du beau regard inquiet de Friedrich.

« n°263 : Sans vanité.

Lorsque nous sommes amoureux, nous voulons que nos défauts restent cachés, – non par vanité, mais parce que l’être aimé ne doit pas souffrir. L’amoureux voudrait même paraître un dieu, – et pas non plus par vanité. » (Troisième livre)

Voilà la réflexion de quelqu’un de vraiment sans vanité, et vraiment amoureux. Le défaut qu’il cherche à cacher : sa faiblesse peut être ? Le fait de ne pas être ce dieu, ce magicien qui empêcherait l’être aimé de souffrir, mieux, qui ferait de sa vie un chemin de – roses.

« n°264 : Ce que nous faisons.

Ce que nous faisons n’est jamais compris, mais toujours simplement loué et blâmé. » (Troisième livre)

Un aphorisme qui semble un écho désabusé au beau programme de Spinoza : « Ni rire ni pleurer ni haïr mais comprendre » (Traité politique)

« n°269 : À quoi crois-tu ?

À ceci : que le poids de toutes choses doit être déterminé à nouveau.

270 : Que dit ta conscience ?

 »Tu dois devenir celui que tu es ».

271 : Où résident tes plus grands dangers ?

Dans la pitié.

272 : Qu’aimes-tu chez autrui ?

Mes espérances.

273 : Que qualifies-tu de mauvais ?

Celui qui veut toujours faire honte.

274 : Qu’y a-t-il pour toi de plus humain ?

Épargner la honte à quelqu’un.

275 : Quel est le sceau de l’acquisition de la liberté ?

Ne plus avoir honte de soi-même.  » (Troisième livre)

Cette fin du troisième livre m’évoque les questions/réponses du catéchisme de mon enfance.

Q : Qui est Dieu ?

R : Ouh la ! vaste question ! Attendez voir, bon on va déjà chercher du côté de Spinoza …

Q : Mais non pas la peine, regarde : y a la réponse, là.

R : Ah ouais j’avais pas vu : Dieu est un pur esprit en trois personnes …

J’ai du mal à me rappeler ce que je pensais à l’époque. J’essayais, il me semble, de comprendre ce que ça voulait dire, sans y arriver, ça me paraissait flou. Après j’ai compris que cette incompréhension n’était pas forcément mauvais signe.

Pour en revenir à Friedrich, je ne sais ce que ce questionnaire doit à l’ombre de Monsieur le Pasteur. Mais ce qu’il doit au Surmoi saute aux yeux. Poids, conscience, danger, pitié, mauvais, honte : n’en jetez plus. Décidément, il s’en est trimbalé !

Mais malgré cela, ou à cause de cela, on est ému par ces phrases, toutes de force, de dignité, de bienveillance, où Nietzsche s’est tout simplement sublimé.

Illustration Johnnyjohnson 20430 (Pixabay)

Un Commentaire

  • Laure-Anne dit :

    Oui c’est du poids, cet héritage, mais ne pas souffrir qu’autrui ait honte, quelle lumière !

Laisser un Commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.