« Septuagénaire, lady Montague avouait avoir cessé de se regarder dans un miroir depuis onze ans. Excentricité ? Peut être, mais pour ceux-là seuls qui ignorent le calvaire de la rencontre quotidienne avec sa propre gueule. » Cioran (Aveux et anathèmes)

Houellebecq sors de ce corps ! Enfin je dis ça : aussi bien Houellebecq se trouve beau. Et puis j’ai tort de le prendre comme parangon de mochitude, c’est vraiment pas sympa. D’ailleurs mochitude n’est pas exactement le mot, disons grognonitude. En fait son nom m’est venu parce que sa négativité fait parfaitement écho à celle de Cioran. Encore un membre éminent des MNA. (cf 5)

Dans la déclaration de lady Montague il s’agit à mon sens d’autre chose que de laideur ou maussaderie. Il s’agit de trouver une réponse, si possible honorable, à la modification d’image de soi qu’impose la vieillesse, cette rude déflation narcissique. C’est valable aussi pour un homme, mais bien plus crucial pour une femme (encore et toujours sommée, même dans nos sociétés, d’exister d’abord et parfois exclusivement par et dans son apparence).

Pour beaucoup, la déflation n’est pas seulement narcissique, entre soi et soi, mais aussi et surtout sociale. Il n’est pas facile de vivre ce moment où vous devenez transparente au regard de l’autre, la sagesse ou l’intelligence ne suffisent pas toujours à s’en arranger (peut être l’humour).

Ainsi pour les actrices vieillissantes, et plus largement les femmes exposées aux regards via les médias (y compris les femmes politiques), cela s’accompagne plus souvent que pour les hommes d’une mise à l’écart professionnelle. Rares sont celles qui ont la force d’accepter et d’imposer le nouveau visage de leur beauté personnelle, que la vieillesse dote d’inquiétante étrangeté*. Alors elles optent pour la même bouche de canard, les mêmes pommettes de hamster : ridicule et pathétique. Trop de narcissisme tue le narcissisme.

C’est pourquoi je ne vois dans la déclaration de Lady Montague ni excentricité ni amertume. Il y a un côté positif à la perte d’image due à la vieillesse : la liberté d’être dispensé(e) de faire bonne figure. Ce qui peut n’être pas sans incidence sur la libération du comportement. Bénéfice collatéral …

Et pour les miroirs, on peut juste se contenter qu’ils renvoient la lumière.

* cf à ce sujet les analyses d’Umberto Eco dans Histoire de la laideur (2007)

photo Marion (Pixabay)

3 Commentaires

  • Laure-Anne Fillias-Bensussan dit :

    C’est, au vrai, très réconfortant, tout ça, tout ce que les pertes acceptées autorisent et révèlent…

  • Dorio dit :

    RAISONS DE NE PAS (TROP) SE REGARDER DANS SON MIROIR On a trop réfléchi, par ailleurs, en son for intérieur On ne reconnaît plus le jeune homme que l’on fut, le pitre et le barbu aux cheveux longs de Mai 68 On continue à faire front et pour cela regarder son front serait contreproductif On préfère lire et se complaire dans maints portraits littéraires que nous suivons caméléon plutôt qu’une image fixe que nous déclarons « Inconnu au bataillon ! » Au fond ne pas se regarder dans son miroir c’est hériter de cette vieille formule testamentaire que valorisent les poètes de Villon à Char : « le mort saisit le vif par son hoir le plus proche. »

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