Cette pièce a été commencée lors d’une résidence à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon en juin 2021 et a bénéficié d’une bourse Odyssée 2020.  L’auteure participera en mars au programme de résidence TRAME 2022 à la Cité Internationale des Arts de Paris.

Ai-je eu l’air d’un joker sorti d’un jeu de cartes ou quoi ! Quand je suis arrivé au bar ce soir, de radieux cris m’ont accueilli. Le barman a sauté avec un mouchoir blanc fatigué. Il l’a agité fébrilement vers moi. Il a épousseté le devant et le dos de mon costume, il a ajusté les revers, a redressé les boutons, a scruté la fente médiane. Il a tourné autour de moi en tapant à chaque fois deux coups contre le sol avec son pied droit. Tous les yeux dans le bar se sont braqués sur moi. La curiosité a alimenté chaque regard. Je n’ai pas perçu la cause d’un tel enthousiasme, quand un jeune homme s’est approché et m’a dit aujourd’hui, « le grand est tiré à quatre épingles, on ne savait pas que tu étais sapeur*. »  Je me suis rendu compte ! C’est mon nouvel accoutrement qui enflammait les esprits dans le bar. Oui. Bien sûr. Des cris m’ont accompagné jusqu’à ma table habituelle. Ces cris ont éveillé en moi une certaine honte.

*Au Congo, adepte de la Société des Ambianceurs et Personnes Elégantes.

(…)

Une envie folle m’a pris d’emprunter la folie du jeune homme. Envie de dire au barman de vider son congélateur. Et que ça coule à flot. Mais mon sac avait l’air d’une bombe. Je ne voulais pas y toucher. Ni à aucun des billets qui sommeillaient dedans. Un cafard s’était coincé dans ma gorge. Une chose quelconque voulait que je la crache. J’ai ouvert ma bouche comme un chien qui halète, rien n’est sorti. Que du souffle. Le barman m’a demandé ce qui n’allait pas. Je lui ai demandé de me servir une bouteille de bière. Elle était déjà sur ma table. Je lui ai alors dit d’apporter du vin auquel je ne tenais pas à toucher de toute la soirée. Déjà commandé par le jeune millionnaire. Oh ! J’avais donc besoin d’un peu plus d’air. Le barman a froissé son front. Il n’a rien compris à ma demande. Je lui ai souri simplement. En fait, c’est ma tête qui en avait besoin. Un peu plus d’air dans ma tête. Dans mes pensées peut-être. De l’air dans mes pensées.

Une haine quelconque m’a pris comme ça. Je ne sais pas de quoi, Une envie soudaine de briser m’a pris. La bouteille de bière par exemple. Peut-être de casser une table. Ou encore la bouteille de vin qui brillait sur l’autre table. La briser et voir couler le liquide rouge. Ça ferait penser au liquide rouge qu’on voyait se coaguler par le feu. Malgré le brouillard qu’il y avait, ça se voyait, ce liquide. Et moi, c’était une poitrine qui s’explosait devant moi alors que je gisais au sol, cloué par une paralysie qui me tenaillait comme si j’étais couché sur un tapis à haute décharge électrique.

Oh, pas ça ! Pas ses souvenirs, ouais !

J’en étais à la bouteille. Oui, à la bouteille. Voir la bouteille se briser sur la tête de quelqu’un par exemple. Sur celle de ma femme.

Peut-être mieux sur celle de ma sœur.

Aussi sur celle de ma mère. (Rires)

Pierrette Mondako

Pierrette Mondako

Pierrette Mondako commence le théâtre en tant que comédienne au lycée en 1995, elle intègre aussitôt le milieu professionnel. C’est en 2002 qu’elle écrit sa première pièce de théâtre intitulée L’escalier aux danses sacro-folles alors qu’elle vient de créer la troupe Emeraude Pembe avec Célestin Kauset. Son dernier texte Entre deux souffles, le silence, écrit au cours de la résidence d’écriture Mantsina sur scène, Brazzaville 2019, a été sélectionné dans le cycle de lectures RFI ça va, ça va le monde, au Festival d’Avignon 2020

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