« Par joie j’entendrai (…) une passion par laquelle l’esprit passe à une plus grande perfection. Et par tristesse, une passion par laquelle il passe à une perfection moindre. » (scolie prop.11 part.3)

Perfection et passion mots piégeux. Ailleurs nommée puissance, la perfection est l’accomplissement de soi, sans connotation idéaliste.

La passion, elle, est définie comme ce dont on n’est pas cause adéquate (que l’on ne comprend et maîtrise que partiellement, voire pas du tout).

Joie et tristesse correspondent donc à des variations d’intensité. On ne regarde pas la différence dans la façon d’affecter, mais le déplacement d’un curseur, par exemple sur un axe vertical. (Le langage nous transporte ainsi du trente-sixième dessous au septième ciel).

Considérer l’affect selon les mesures physiques d’intensité (plus/moins) et de direction (sens d’accomplissement ou sens inverse) l’objective. Au contraire lui donner une « couleur » implique une subjectivité possiblement fallacieuse (le senti-ment, dit Lacan) (oui Lacan aussi peut mentir tu as raison lecteur).

Les Inuits ont paraît-il 12 mots pour qualifier la neige, Spinoza pour la joie en décline 6, déjà pas mal pour un seul homme.

Laetitia

Joie d’exister dans l’existence-même. Épanouissement de l’être, illumination du visage, paysage soudain riant dans l’éclosion du printemps, Rimbaud dans l’aube d’été.

Titillatio et hilaritas 

« L’affect de joie, quand il se rapporte à la fois à l’esprit et au corps, je l’appelle titillatio ou hilaritas. » (scolie prop.11 part.3)

Deux affects qu’il oppose respectivement à douleur et mélancolie. Titillatio est jouissance d’être, éprouvée corps et âme.

Hilaritas est gaieté, belle humeur, faculté de se laisser alléger par un bon mot, une image drôle. Contagieuse, unificatrice, c’est une bonne manière qu’on se fait entre humains, une douceur dont on se réconforte dans les âpretés de l’existence.

Gaudium

Contentement « une joie qu’accompagne l’idée d’une chose passée qui s’est produite au-delà d’une espérance. » (part. 3 déf.16)

Au-delà, pas nécessairement en la satisfaisant. Mais finalement, la joie est là, la joie de dire : c’est bien ainsi.

Gaudium est le mot qui a donné joie en français (et autres langues). Il est remarquable (étonnant un peu) (ou pas) que Spinoza, pour définir l’affect en général, ait préféré laetitia (non c’était pas le prénom de Melle Vanden Enden cf 3/24).

Plus abstrait, gaudium implique un différentiel de temps, le temps nécessaire à l’effort éthique de cultiver la joie (fleur pas toujours précoce). Joie secondaire, raisonnée, médiatisée.

Risus et jocus

« Risus, tout comme jocus est pure joie. » (scolie corollaire 2 prop.45 part.4)

Risus le rire, qui éclate, qui libère. Voir l’absurdité, le dérisoire, et dire : mieux vaut en rire.

Jocus la plaisanterie, a donné le mot jeu. Il s’agit en effet de jouer avec les mots, et grâce à eux de déjouer le mal et le malheur, la mort elle-même.

De jouer à déjouer la fragilité de notre condition humaine, ainsi que le montre Freud dans Le Mot d’esprit dans son rapport avec l’inconscient.

Crédit Photo MLWatts — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=46079100

2 Commentaires

  • Laure-Anne Fillias-Bensussan dit :

    Cette déclinaison spinozesque revue par Ariane de la « maison » Fragile me met en grande joie!

  • Ariane dit :

    L’intérêt que je vois à cette série, c’est qu’il y a toujours une joie possible : quand laetitia n’est pas là, on cherchera gaudium, et si on rame pour jocus, ben restera risus …

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