La part.5 d’Ethique « De la puissance de l’intellect, autrement dit de la liberté humaine » est assez semblable à la notice de montage d’un meuble suédois en kit. En plus clair (pas difficile je vous l’accorde). Après avoir décrit les éléments du système, les fonctions, les cas de figure, Spinoza aborde le moment crucial du test en conditions réelles (quand la bibliothèque peut se révéler bancale, voire s’effondrer).

Comme l’indique le titre de cette partie, le test consiste à éprouver le pouvoir libérateur de l’intellect, de l’opération de comprendre.

La première chose à comprendre, c’est que la liberté ne se cherche qu’à partir du déterminisme : l’homme n’est pas un empire dans un empire. On a tendance pourtant à dénier cette réalité naturelle. On fuit dans l’idéalisme.

« Les hommes se croient libres pour la seule raison qu’ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par quoi elles sont déterminées, et (ignorent) en outre que les décrets de l’esprit ne sont rien d’autre que les appétits eux-mêmes et pour cette raison varient en fonction de l’état du corps. Ceux donc qui croient qu’ils (…) font quoi que ce soit par un libre décret de l’esprit rêvent les yeux ouverts. »  (part.3 scolie prop.2)

Et d’enfoncer le clou :

« quand nous nous efforçons (verbe conari) à une chose, quand nous la voulons, ou aspirons à elle, ou la désirons, ce n’est jamais parce que nous jugeons qu’elle est bonne ; mais au contraire, si nous jugeons qu’une chose est bonne, c’est parce que nous nous y efforçons, la voulons, aspirons à elle et la désirons. » (part.3 scolie prop.9)

Voilà qui invalide les conceptions idéalistes. On l’a déjà vu (4/24), Spinoza construit un schéma totalement inverse du schéma platonicien.

L’enjeu éthique est pour lui que la liberté prenne corps. Chose possible moyennant la double valence de l’affect, affection du corps et idée de cette affection (cf 5/24).

Elle ouvre une dynamique de réversibilité entre l’intellect et le corps. À la puissance du corps sur l’intellect peut répondre celle de l’intellect sur le corps. Non pas abstraitement, de l’extérieur, mais dans le concret, et au lieu précis de chaque affection.

De fait la liberté n’existe que sur le mode d’un work in progress.

Plus largement, il s’agit d’appliquer la force intellect, le chercher à comprendre, à toute réalité. De façon à arriver à en prendre acte. Non pas dire c’est comme ça et s’y résigner, ou seulement s’y adapter.

L’enjeu est de l’adopter.

« L’adaptation est un rapport entre deux termes qui préexistent à leur mise en rapport, tandis que l’adoption est une relation créatrice des termes qu’elle relie. Par ex le père et son enfant ne préexistent pas, en tant que tels, à la relation d’adoption. »

(Petit et Stiegler Lexique d’ars industrialis Flammarion Biblio des savoirs 2013)

La simple adaptation à la réalité peut parfois mener au conformisme voire à la soumission, mais son adoption, elle, est toujours potentialité de création.

Photo par MLWatts — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=46079100

5 Commentaires

  • Pierre Hélène-Scande dit :

    Article clair et précis -et agréable à lire- sur une chose (actuelle ou possible) qui touche chacun de nous au plus intime. Vraiment cool, le Spin’ ! 🙂

  • Ariane Beth dit :

    Oui il est trop cool. Personnellement l’histoire adaptation/adoption de Stiegler m’a beaucoup éclairée sur le paradoxe spinoziste de la liberté dans le déterminisme.

  • Laure-Anne Fillias-Bensussan dit :

    Oui merci d’avoir fourni cet intéressant outil qui rend le kit de montage beaucoup plus clair, mais pas forcément la réalisation du chantier moins rude.

    • Ariane dit :

      C’est sûr, la pratique dans la vraie vie c’est toujours là où le bât risque de blesser. Comme dit Montaigne « je m’aimerais mieux bon écuyer que bon logicien » …
      Merci pour ta persévérante lecture, en tous cas.

  • Laure-Anne Fillias-Bensussan dit :

    Relisant, je me dis que vraiment le mode d’emploi batave sinon suédois de ce cher Baruch (on s’attache, à force!) est un défi stimulant à nous confronter à nos déterminismes sans fatalisme, et aussi aux principes de réalité qui nous sont extérieurs … confrontations qui peuvent nous conduire tantôt à d’humbles adaptations de vouloir vivre, tantôt à de fécondes adoptions….

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