Le hic de l’éthique est le conflit raison/passions. Comment l’aborder ?

« Pour la plupart, ceux qui ont écrit des affects et de la façon de vivre des hommes semblent traiter, non de choses naturelles qui suivent les lois communes de la nature, mais de choses qui sont hors de la nature. On dirait même qu’ils conçoivent l’homme dans la nature comme un empire dans un empire (…) Ils attribuent la cause de l’impuissance et de l’inconstance de l’homme non pas à la puissance de la nature mais à je ne sais quel vice de la nature humaine. » (Intro part.3)

Premier déclic éthique donc : cesser de dénier le déterminisme naturel.

Deuxième déclic éthique : cesser de s’égarer dans le jugement moral.

« Je veux revenir à ceux qui aiment mieux maudire les affects ou actions des hommes, ou en rire, plutôt que les comprendre. Ceux-là, sans aucun doute, trouveront étonnant que j’entreprenne de traiter des vices et inepties des hommes à la façon géométrique, et que je veuille démontrer par raison certaine ce qu’ils ne cessent de proclamer contraire à la raison, vain, absurde et horrible. »

Pour cela un bon guide : le mode géométrique

« Je traiterai donc de la nature des affects et de leurs forces, et de la puissance de l’esprit sur eux, suivant (cette) méthode (…) et je considérerai les actions et appétits humains comme s’il était question de lignes, de plans ou de corps (càd figures en 3D). »

Un moteur nommé désir

« Par affects j’entends les affections du corps qui augmentent ou diminuent, aident ou répriment, la puissance d’agir de ce corps, et en même temps les idées de ces affections .» (part.3 déf.3)

L’idée est conçue comme ce qui dans le mental (psychisme et intellect) enregistre la trace de l’impact physique, sensitif. (cf note 1)

L’affect joue donc à la fois dans le plan réel du corps et, à partir de lui, dans celui des idées. Cette bivalence en fait le rouage privilégié du système éthique de Spinoza : l‘idée de l’affect est le cheval de Troie d’où lancer l’offensive de compréhension à travers l’immédiateté du ressenti, du perçu.

La force affect se caractérise en deux paramètres, intensité et direction. L’intensité est efficace si elle est de même direction que le conatus (cf 4/24). Sinon au contraire elle est énergie de casse. Certains affects intenses font ainsi passer à l’acte, tout en empêchant une action constructive (ex colère, jalousie).

L’affect actionne le démarreur du moteur humain, le désir :

« Le désir (cupiditas) est l’essence-même de l’homme en tant qu’on la conçoit déterminée, par suite d’une quelconque affection d’elle-même, à faire quelque chose. » (part.3 déf.1)

Beaucoup omettent la 2° partie de la définition, devant la difficulté d’articuler détermination du désir et désir de liberté. Là est pourtant la substantifique moelle du spinozisme.

Le désir est une dynamique. S’il est l’essence de l’homme, cela revient à dire que cette essence n’est ni donnée d’emblée ni posée une fois pour toutes. Elle se construit selon la courbe dessinée par la succession des réponses aux affections, les motions productrices d’affects.

Pour le dire autrement : l’existence précède l’essence.

Ainsi la liberté de chacun ne prend corps que dans la succession des réponses existentielles aux déterminations successives.

 

  • (1) « L’objet de l’idée constituant l’esprit humain est le corps, autrement dit une manière de l’étendue précise et existant en acte, et rien d’autre. » (part.2 prop.13). Remarquons que c’est l’inverse du schéma platonicien.

6 Commentaires

  • Pierre Hélène-Scande dit :

    Dure-dure, donc la pilule ! Mais l’humour et la lumière apportée par la commentatrice aide à l’avaler.

    • Ariane dit :

      Heureusement Spinoza nous encourage : « Je ne doute pas que mes lecteurs seront dans l’embarras et que bien des choses leur viendront à l’esprit qui les arrêteront, et c’est pourquoi je leur demande d’avancer avec moi à pas lents, et de ne pas porter de jugement avant d’avoir tout lu. » (Ethique scolie prop.11 part.2) (pas de jugement global, mais des questions sur tel ou tel point si nécessaire pas de problème).
      J’ajoute qu’avec C comme conatus (et complexe), D comme déterminant (et dur dur), nous sommes au maximum de difficulté de ce parcours. Tout se précisera, s’éclairera vraiment peu à peu. Par ex. pour Conatus, le G et le N surtout nous aideront bien. Pour Déterminant, le G et L. (En prime jeu de devinette : quels mots sont-ce ?)
      Et dernière bonne nouvelle, les deux entrées prochaines, E et F, seront clairement de l’ordre du récréatif. Mais oui.

      • Pierre Hélène-Scande dit :

        Ouais, et d’ailleurs, même quand c’est hard, ça reste cool. Bon, je m’tais, je sens que je deviens horripilant.

  • Ariane dit :

    « Horripilant » ? Que nenni cher ami. Ou alors est-ce une façon subtile de rendre hommage à l’épineux Spinoza ? (Et néanmoins cool en effet).

  • Laure-Anne Fillias-Bensussan dit :

    Limpide, qu’on qu’on die !
    Merci d’avoir mouliné pour nous toute cette coriace matière sans l’affadir, voir en l’épiçant un peu…

    G : Gaudium ??????
    L: Liberté ?????
    N : Nom de nom ! ???

    • Ariane Beth dit :

      Vraiment contente que ça t’intéresse, merci pour cet encouragement.
      Sinon pour G c’est pas ça, ni pour N (mais je regrette de n’avoir pas pensé à Nom de nom ! ça irait trop bien, tu verras).
      Et pour L : bingo !!!

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