Colerus consacre plusieurs pages au récit de l’exclusion de Spinoza par la Synagogue d’Amsterdam. On comprend que ça intéresse un pasteur pour raisons de boutique. Mais à nous, que dit cet épisode ?

Il ressort de sa conduite que Spinoza n’attachait pas vraiment d’importance aux questions de communautés. Ni rejet hystérique ni besoin angoissé d’appartenance.

Colerus note (avec quelque dépit) que prenant ses distances avec la Synagogue, Spinoza n’a pas pour autant « embrassé le christianisme, ni reçu le saint baptême. Et quoi qu’il ait eu de fréquentes conversations avec quelques savants Mennonites, aussi bien qu’avec quelques personnes les plus éclairées des autres sectes chrétiennes, il ne s’est pourtant jamais déclaré pour aucune, & n’en a jamais fait profession. »

Les chapelles (limite sectes au sens actuel) pullulaient en effet comme des mouches (suscitant j’imagine son intérêt entomologiste).

Quand il commença à dire sa façon personnelle de penser dans le cadre de sa communauté, il y eut d’abord des pressions assorties de menaces. Si bien qu’un fidèle plus allumé l’agressa physiquement genre horreur tu blasphèmes.

Il fallait calmer le jeu. Alors « Les Juifs lui offrirent une pension peu de temps avant sa désertion pour l’engager à rester parmi eux, sans discontinuer de se faire voir de temps en temps dans leurs synagogues. » On profite de ton statut international d’intello, et toi tu y perds pas. Juste : tu fais pas de vagues, hein ?

Mais non. « Quand ils lui eussent offert dix fois autant, il n’eût pas accepté leurs offres, ni fréquenté leurs assemblées par un semblable motif; parce qu’il n’était pas hypocrite, et ne recherchait que la vérité ».

Suivant sa devise Caute, pourvu d’un conatus comme vous et moi, Spinoza refusa de mettre en péril sa tranquillité voire sa vie, et tout autant sa liberté. Il s’éloigna donc sur la pointe des pieds, espérant qu’on lui lâcherait les bottes.

« L’homme libre montre la même vaillance ou présence d’esprit à choisir la fuite qu’à choisir le combat ». (part.4 corollaire prop.69) (À noter dans votre mémo SOS philo).

Mais les religieux détestent perdre la face et le pouvoir qui va avec.

« Il s’était à peine séparé des Juifs et de leur communion qu’ils le poursuivirent juridiquement selon leurs lois ecclésiastiques et l’excommunièrent ».

On lui infligea l’exclusion temporaire (herem), avec possibilité de réintégration si amende honorable.

Qu’il ne fit jamais.

Crédit Photo MLWatts — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=46079100

 

6 Commentaires

  • Pierre Hélène-Scande dit :

    Oui, le courage est une vertu nécessaire à la pensée, et plus généralement à qui veut vivre de manière autonome. Donc, Spin’ n’en manquait pas, et désintéressé avec ça, décidément un type cool !

    • Ariane dit :

      Oui en fait je crois qu’il pensait vraiment ce qu’il disait, ça aide à assumer les conséquences dans la vraie vie. Et côté coolitude, on va s’en souhaiter encore et encore, avec ou sans Spin …

  • Bal dit :

    Je souligne : « Mais les religieux détestent perdre la face et le pouvoir qui va avec » !
    Merci Ariane pour ce texte superbe, je veux dire le tien.
    Quel fil cousu de mains d’or t’a donc inspiré cet article tellement en phase avec ce que je vis (intérieurement bien sûr) en ce moment ?!
    Voilà mon plaisir de la journée. Décidément lire et écrire vous donne plus que tous les biens du monde, et penser bien sûr…

  • Ariane dit :

    Merci, Marie, pour ta bienveillante lecture. Et j’adhère à ta conclusion : penser, lire, écrire , oui c’est du plaisir ! De quoi nous encourager à continuer à faire vivre « Fragile » …

  • Laure-Anne Fillias-Bensussan dit :

    Ben oui, ne pas perdre la face, mais pê que qd mm Spin’ était digne d’admiration et d’intérêt et qu’il devait y avoir des gens qui aimaient bien l’écouter penser à la synagogue, sinon, ils ne se seraient pas donné toute cette peine juste pour le prestige de l’intello.. . il me semble que les religieux ne veulent pas perdre la face, mais par dessus-tout évitent les loups dans leur bergerie; s’ils lui ont tendu le licol, je serais portée à croire que c’est parce qu’il ne devait pas être trop broque en Talmud non plus…mais il n’en avait rien à braire de la chaleur de la bergerie…préférait l’échauffement perso des neurones.

  • Ariane dit :

    Certes il avait ses partisans à la synagogue, où il y avait d’autres grands esprits. Il a fait les frais de la rivalité classique dans les bergeries entre orthodoxes et libéraux, novateurs. Il y a eu aussi certainement de la part des chefs de la communauté une considération de prudence politique : il fallait se démarquer de quelqu’un qui attirait trop l’attention. Ne pas réveiller le virus endémique de l’antisémitisme.
    Pour des précisions sur cet épisode, et plus généralement sur la genèse de l’Ethique, voir le livre de Maxime Rovère « Le clan Spinoza » (Champs Flammarion 2019)

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