Un lièvre en son gîte songeait

(Car que faire en un gîte à moins que l’on ne songe ?)

Tout l’art de La Fontaine en deux vers. Le lièvre et les grenouilles (livre II,14) pourrait valoir par cette seule accroche. Mais ce texte vaut encore plus pour les gens qui ont comme moi l’honneur et l’avantage de vivre avec un soupçon de phobie (que dis-je un soupçon, une larme, un tout petit scrupule).

Dans un profond ennui ce lièvre se plongeait : (ennui = gros gros souci)

Cet animal est triste, et la crainte le ronge. Être un rongeur rongé : vexant, non ?

« Les gens de naturel peureux/Sont, disait-il, bien malheureux ;/Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite./Jamais un plaisir pur/

Cette crainte maudite/ M’empêche de dormir, sinon les yeux ouverts

(oui anhédonie et insomnie complètent logiquement le tableau symptomatique).

Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle. La phrase qui tue. Déjà le lièvre est angoissé, déprimé, bref a du mal à se sentir bien. Et voilà qu’en plus on lui balance c’est pas bien. Il fait des histoires, il s’écoute : ça va comme ça, qu’il prenne sur lui, quoi ! C’est ce qui s’appelle la double peine. Après on s’étonne que le lièvre reste terré dans son gîte, gisant dans son terrier.

Ainsi raisonnait notre lièvre, et cependant faisait le guet./Il était douteux, inquiet : Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre.

La sage cervelle ci-dessus dira qu’il jouait à se faire peur. Comment ne sait-elle pas que l’angoisse est un pare-excitations (lui rétorquera le lièvre qui en son gîte quand il ne songe pas lit Freud). Formuler un scénario catastrophe aide à donner forme à l’angoisse informe, prégnante. Mais c’est vrai que ça ne marche pas à tous coups.

À un moment un léger bruit suffit à faire détaler le lièvre. Et voilà que par hasard Il s’en alla passer sur le bord d’un étang. Du coup pffft ! Grenouilles de rentrer dans leurs grottes profondes.

Alors le lièvre a l’illumination. C’est comme si ces grenouilles lui tendaient un miroir. Lui qui a peur peut faire peur tout pareil. Il n’est pas plus nul qu’un autre. Conclusion à chacun sa névrose tous les dégoûts sont dans la nature.

Remarquons pour finir que ce n’est pas la sage cervelle qui l’a aidé. En fait, dit Freud, le meilleur médecin c’est la vie. Souvent une circonstance fortuite de la vraie vie (par opposition aux songeries) provoque la guérison mieux que les donneurs de leçon. Et même parfois mieux que psychanalystes (y compris lacaniens) ou philosophes (y compris spinozistes). À condition bien sûr d’en prendre acte.

Que faire en un gîte à moins que l’on ne songe ? Faire de sa songerie une fable sans doute. Ou l’interprétation d’une fable.

Image : Jeffrey Bonto de Pixabay

5 Commentaires

  • Jean-Marie dit :

    Moralité : n’en déplaise aux porcs-épics, ce sont bien les animaux sauteurs et sursauteurs qui donnent et reçoivent les meilleures leçons de résilience (le mot qui fait bondir…)

    • Ariane dit :

      Je ne peux qu’approuver, ayant quelque affinité avec certain d’entre eux qui privilégie le déplacement « à sauts et à gambades ».
      Mais sur le porc-épic il me faut cependant rebondir (oui ouille), car, ô intuitif lecteur, figure-toi qu’il se pointera à un détour de cette haletante série, à l’épisode 6 exactement. (Si c’est pas teasé, ça, hein …)

  • André Bellatorre dit :

    J’ai un faible pour les fables qui mettent en scène les grenouilles même si elles sont parfois un peu sottes quand elles veulent ressembler au boeuf. Ici elles sont peureuses et me font penser à celles qui « sous les pas du poète se jettent au prochain étang » (Francis Ponge j’y songe). il est vrai qu’elles ne sont pas les héros de la fable mais je n’ai rien contre les lièvres songeurs bien au contraire.
    J’ai aussi un faible pour votre prose, Ariane, à la fois savante (qui n’est pas sotte donc) et légère (elle est sautillante elle aussi). Un régal donc et étant addict à La Fontaine (lui aussi savant et pimesautier à la fois) je me précipite sur les autres articles de cette série. On n’y rencontre pas toujours des grenouilles mais tant pis ou tant mieux…

    • Ariane dit :

      Merci pour votre lecture, André, il est agréable et réconfortant de voir le lecteur rebondir, on se sent moins seul en son gîte … J’apprécie la référence à Ponge, car je n’y avais pas songé, mais oui il a de beaux points communs avec La Fontaine, l’observation, l’écoute, y compris du muet, et les mots qui font voir et entendre
      Les grenouilles en revanche … j’ai quelques traumas d’enfance à cause de ces animaux. Et je ne parle pas des sauterelles dans le genre, ma plus grande phobie.

  • André Bellatorre dit :

    Sans compter que Francis Ponge quand on l’interrogeait sur son écrivain préféré répondait La Fontaine. Ce n’est pas pour rien si ses poèmes en prose avaient l’allure de fables singulières sur les choses et les animaux. On peut y voir une certaine parenté assez joyeuse.

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