1.
Rambarde la corne de vache
dans l’entrée carrelée
Aurai-je pourrai-je maison vidée
c’est pour faire peur le renard en face l’étable
Sans préposition la langue la langue plus la mienne déjà
Oc
mille neuf cent vingt sept mille neuf cent quatre vingt treize
elle fait drôle de bruit quand ça souffle dedans
Je l’ai encore dans la cage thoracique
Tout comme cette recette
Ma mère a 9 ans
Elle écrit pour sa mère
qui sont les deux femmes avant moi
cette recette
dans un vieux classeur
dont j’ai hérité
quand maison vidée
*Cette liqueur s’obtient de trés (sic) simple façon. Il ne s’agit pas de liqueurs distillées du commerce, mais de quelque chose de délicieux que l’on peut faire chez soi. Peler les coings bien essuyés et mettre les pelure dans un bocal avec de la bonne eau-de-mort (sic) à 60° environ et laisser macérer six semaines, puis on fait cuire ensemble ; pour une bouteille, 350g de sucre avec un petit demi-litre d’eau. Quand ce sirop a bouilli 5 min, le faire refroidir puis y mélanger l’eau de coings passée au linge. Liqueur précieuse pour les maux de ventre*
Il y a comme une lenteur dans l’enfance
On dit ça s’en va mais c’est toujours là
Des endroits qu’on a plus besoin de penser non non
à côté de l’étable
Juste là
dans la cour
Près du chien
Et des lapins
Et des fraises
Et de la main
D’on ne sait plus qui
Mais qu’on porte en soi
Ca fait mal aussi oui mais c’est comme un abandon à se défaire
Mauvaises prépositions la langue la langue plus la mienne déjà
Oc
2.
Steppes comme mongoles ces steppes de l’Aubrac.
Autrefois craintes par les pèlerins pour ses loups et son climat rude.
Aujourd’hui inattendue sous nos quatre pieds
Espace blanc silencieux comme la maison qui reste en soi quand la vie emmène ailleurs
Espace blanc silencieux comme le nuage quand l’humain s’égosille quand l’humain s’égoïsme
Espace blanc silencieux sous le matronat de la lune qui pense à la mer sa lointaine cousine qui fait comme lui
Qui s’impose pour qu’on se taise
Qui s’impose oui et notre sensibilité faites-la parler
Qui illumine l’amour
Qui illumine oui
Qui illumine
3.
L’intercité numéro 8796 au départ de Brive-la-Gaillarde et desservira
les gares de Saint-Denis-près-Martel, Rocamadour, Gramat, Flaujac, Capdenac,
Saint-Martin-de-Bouillac, Viviez-Decazeville, Cransac, Nuces,
et Rodez, son terminus.
Après le train de nuit la tête à l’envers.
Et Paris qui semble dire, reviens, entre à nouveau ni vu
ni connu dans la caverne de mes charmes, l’anonymat
des grandes villes. Au secours.
4.
Univoque non
ça fuit de tous côtés.
Les nuits comme les jours sont peuplés d’énergies balbutiantes
de peaux électriques jamais repues
d’épuisements tapageurs et d’urgences arythmiques
Morsures en broussailles
Les corps ne sont jamais assez amples pour tout accueillir
les abîmes ne sont pas assez abîmes
et l’apparition brutale et charmante d’une promesse
de satiété ne remplit jamais le trou.
Elle ne fait que timidement rafraîchir les irrépressibles faims anesthésiées bien malgré elles par la sécurité du quotidien.
Heureusement
choses impalpables
agrandissent l’existence.
À la recherche du muguet sauvage
dans terres Aveyronnaises
dans sous-bois si verts
sauvages
couverts rosée matinale.
La nature a ses saisons comme les humains
à ce détail près qu’elle accepte que le temps passe
que les choses et les êtres disparaissent.
5.
(tant de bruits avant l’orage)
et les maisons qui attendent des solitudes c’est
tous les deux mois les arbres refaits du chemin des escargots
celui derrière la maison
loins des photos abîmées que vous ignorez
longtemps pas ouvertes ces boîtes
troisième niveau de l’étagère encastrée dans chambre des parents
Ces automnes pourtant des préambules ont triomphé sur l’été principal
(tant de bruits avant l’orage)
Au fond deuxième niveau de l’étagère encastrée dans mon plexus
Dans le coeur
C’est pas encore la pluie
C’est les bruits je vous dis
Quand les contrées changent de couleur
de gueule
quand le renard s’abrite
quand on sait qu’au fond de la vallée se passe chose qu’on sait pas
Ces automnes persistent persistent
Je les noie en Méditerranée
Je les noie avec la peau perlante de l’aimé
Mais la terre mange l’eau encore plus la terre orageuse gorgée
Ma province devient univers qui souvent demeure
Ma province ronces ma province barbelés ma province fumier taureau hostile que petite fille mal réveillée croise
Les gens du village qui s’engueulent c’est aussi les bruits avant l’orage
6.
Je me souviens de l’oubli, je me souviens d’un passé tel qu’il a été oublié
Un accent fabulé qui n’arrive plus à fabuler avec les hommes
Finir par être en vacances chez soi
Quand un moment dans la vie tout se décale
Forcément ça se décale
Ce refus intérieur poussé dans ses retranchements
Davantage qu’un rejet extérieur imposé
Ça vit
Et
Alors
Tout est à refaire
Couper l’épine
Couper le Y’a longtemps de tout ça
Mais
Que faire de la brume
Des débris sonores du lointain du bétail
De ce qui inspire chaque parcelle de ma poésie
De ce qu’on arrache à l’existence
Ça existera plus qu’il dit
Des villages sur un plateau ondulé
Du bartas et du lietch
De miladiou et de macarel
De celle qui dit qu’elle a tombé quelque chose
De celui qui dit que ça l’espante
De l’odeur des châtaignes grillées dans la machine du grand-père en plein froid d’hiver
De sa dernière tarte aux pommes
7.
La vie désirante du haut des toits rouges,
l’enchantement moderne face à l’obscur entêtement de la végétation du maquis
sur la peau tout entière la lumière, sur la rétine ;
on provoque l’inattendu comme une lettre laissée sans réponse.
N’ai pas tout dit du bazar endolori de l’enfance qui demeure.
L’égarement,
la tête m’en tourne : quelle extase encore m’attend ?
Après souvent le trouble trouver
pourtant
l’ubac, spectacle immobile
des inanimés sur terre qui
rêvent sûrement sans qu’aucun humain ne le sache,
N’ai pas tout dit de l’intolérable bazar de l’enfance qui s’attarde.
Paysages étranges, malfaisants et aimés à la fois, disparaissants, malgré la photographie qui tente de les punaiser sur la cruellement charmante carte de l’existence.
N’ai pas tout dit du lancinant bazar de l’enfance qui gîte.
Dernier pallier, la montagne.
Monter encore.
8.
Dans l’attente incurable des cahots de la route
Je cours vers l’autobus de mon coeur
Je veille des chiens de fusil
Pendant que tu lègues tes seins à l’automne
Un vieux cuivre te regarde
Pour avoir hâte de ton nez froid
L’abri de l’amoureux,
Odorant et rouge, odorant et rouge,
Ça bouge loin
Comme un dessin peluché.
Douces feuilles sur tes seins
Te font abandonner ta recherche de champignons
Qu’est-ce que c’est que de mourir en occitan ?
D’avoir un ticket pour ne plus exister ?
De craindre la cage et les plaies,
Les plaies et la cage ?
J’ai serré dans mes bras l’horloge de mes condoléances
J’ai craint de ne plus habiter
Un lièvre passe quotidien
Ça, ça n’existe pas urbain.
Alors, tourner la tête vers le réverbère du rêve.
Il faut se couper pour créer.
Et créer pour se faire mal.
La maisonnée du cœur ?
Nulle part !
Pour ne pas léguer sa robe de chambre mais
Plutôt des heures géographiques
Sensitives
Volantes
Tardives
Douces
Odorantes et rouges
Odorantes et rouges
Odorantes et rouges.
Belles émotions, l’enfance, la maison vidée, tout cela parle à quiconque, si peu occitan qu’on soit.
Et le rugueux de terre de langue d’oc… qui dit oui, on l’oublie…
Comme quoi l’oc parle au monde… Il suffit d’une terre. Merci pour votre ressenti. C’est précieux. À bientôt
Merci pour ce beau et poignant « déroulé », parmi les objets qui vous sont chers et les paysages de notre Occitanie…J’ai suivi ligne à ligne cette « brume des racines », qui camoufle (en effet) autant qu’elle montre ».
Et puis la question posée : Qu’est-ce que c’est que mourir en occitan ?, m’a incité à rechercher un texte intime enfoui depuis bientôt vingt ans dans mon palimpseste personnel.
J’ai hésité à vous le livrer et puis ce site placé sous le signe de la fragilité a levé mes doutes.
Bonne réception et bonne continuation en vos espaces blancs silencieux
et qui pourtant continuent de nous parler de » nosto país. »
Martigues Dimanche 23/05/2021
LE DERNIER FEU
Pour ma mère
La mort, qu’est-ce que ça fait ? Ça fait rien justement. Plus rien.
Maman est morte en regardant le feu de bois du matin que mon père venait de lui allumer. Devant la vieille plaque noire. Devant un dessin sur la fonte qui rappelait vaguement la pucelle de Donrémy. Il y a, au moment présent, exactement neuf ans que ça s’est produit.
C’était un cœur simple. Elle pleurait la mort des bêtes. De la chatte Misty- une mésange qui traversait l’espace comme l’éclair- trouvée raide dans le chai, à mon cocker noir –Youp- empoisonné alors que j’étais à New York City.
Elle passait ses derniers temps à lire des romans sentimentaux, devant le feu précisément, en son dernier canton, en se rôtissant les jambes, heureusement protégées par des bas éternels.
Le foyer, la chaleur des bûches ou des branchages rouges, devant lesquels j’ai vu les Panarés de l’Orénoque reprendre vie, au réveil, en se massant les bras, bien posés sur leurs cuisses.
Eux, on les met dans le hamac cosmique à la fin. Elle, comme tous les habitants du village, on l’a couchée dans la caisse. Ses petites filles lui ont mis le dernier bracelet de perles qu’elles avaient fabriqué, avec une photo.
Pour conserver qui sait quelle figure de la vie ?
27/09/2002
Tant de silences avant l’orage :
les pentes attendent leurs solitudes
c’est le chemin caillouteux de la transhumance
où les bêtes attrapent les nuages
enfin ceux qui passent à leur portée
un automne en plein été
qui dévale du Mont Lozère
mais jusqu’où ira t on s’arrêter ?
sans doute dans cet abri pour les bergers
au confort rudimentaire
une demi-heure de grêle
en guettant une trouée dans les nuées,
pour suivre le pinceau de lumière,
blocs de granit comme statues de sel…
RC