« Au cours de cette recherche, maintenant parvenue à un terme provisoire, se sont ouvertes à nous différentes voies latérales, que nous avons d’abord évitées (…) Nous allons maintenant revenir sur une partie de ce que nous avons laissé de côté. »
(Freud Psychologie des foules et analyse du moi chap.12 Annexes)
Et de cette partie je souligne pour ma part les trois points suivants (discutables dans le détail mais suggestifs).
1) « Le moment où s’est réalisé le progrès que constitue le passage de la psychologie des foules à la psychologie individuelle. »
Pour Freud (après dit-il échanges avec Otto Rank sur l’article la figure de Don Juan), le chaînon manquant entre le père de la horde et le meneur de la foule est le héros mythologique. Mais le mouvement ne s’arrête pas là. « Le mensonge du mythe héroïque culmine dans la déification du héros. » Après l’élimination par les fils du père de la horde, « la chronologie des dieux s’établirait ainsi dès lors : déesse mère/héros/dieu père (monothéismes). »
Ce qui précise-t-il n’est pas tout à fait un (éternel) retour à la case départ. Car ce dieu père est un peu plus père et un peu moins tyran.
Quoique. Y a des moments historiques qui ont pu en faire douter, non ?
2) Retour sur l’idée que les foules sont par essence sentimentales. Autrement dit elles carburent à la libido, et sont de ce fait soumises aux fluctuations de l’articulation entre pulsions sexuelles directes et inhibées quant au but. L’occasion de mentionner le complexe d’Oedipe (occasion rarement boudée par Papa Sigmund), et d’insister sur la réversibilité entre refoulement et défoulement pour l’individu enfoulé (cf 13).
3) Relation amoureuse et enfoulement font rarement bon ménage. En particulier dans les grandes foules artificielles que sont l’Eglise et l’Armée.
« La relation amoureuse entre hommes et femmes reste extérieure à ces organisations. » Et lorsqu’il y a carrément bannissement structurel, c’est le signe certain que l’institution la ressent comme une menace vitale (ex la dead line du célibat des prêtres dans le catholicisme, inexplicable autrement).
« L’amour pour la femme (la formule a l’air d’exclure l’amour homosexuel – ce n’est pas nécessairement son propos, quoi qu’on en dise, mais disons plutôt l’amour tout court) rompt les liens à la foule propres à la race, à la division en nations et au système social des classes, et accomplit de ce fait des réalisations culturelles importantes. »
Aujourd’hui en beaucoup de lieux ces liens de race, nations, classes (ou ce que l’on appelle aujourd’hui communautés) se resserrent jusqu’à l’étouffement. Cela se fait moyennant divers enfoulements réels ou virtuels, éphémères ou organisés, idéologiques et/ou religieux ou pas.
Ils ont en commun la perversion, aussi habile que paradoxale, de la réalisation culturelle importante qu’est l’individualisme moderne.
image par David Mark (Pixabay)
L’individualisme moderne, compatible avec les enfoulements communautaires, et pas si paradoxal que ça si on a bien compris les analyses précédentes, peut-il être considéré comme une réalisation culturelle, si pour Freud ces réalisations culturelles, et donc ces choses originales et fécondes, proviennent de cette exception, l’amour ?
Pour ma part je dirais que l’individualisme moderne (c’est à dire pour moi une autonomie personnelle articulée à la responsabilité envers autrui) est compatible avec, non les « enfoulements » communautaires (où l’individu littéralement se pervertit), mais avec les « appartenances » communautaires. Elles sont il me semble un donné objectif dans lequel l’individu peut se construire en liberté et en responsabilité (à l’aide des structures éducatives familiales , sociales, culturelles) (si elles le font, une grande partie du problème est là). Alors que l’enfoulement, comme on l’a vu, le fait entrer dans un moule idéologico-affectif, en fait une chair à aliénation.
L’amour est caractérisé par Freud dans ce texte comme une « formation en foule à deux » , on l’a lu plus haut. Le point commun avec l’enfoulement pervers est le rôle de l’Idéal du Moi. Dans l’amour réussi, partagé, qui a trouvé un bon équilibre, ce qui fait la différence est la réciprocité d’influence si l’on peut dire. Chaque partenaire met l’autre en place d’Idéal du Moi.
Selon des modalités évolutives bien sûr : après la quasi-hypnose des premiers temps, les choses s’ajustent, un choix émergent des traits unaires chez l’autre par chacun finit par construire une « communauté à deux ».
Voilà ce que m’inspire ta remarque. Je ne suis pas sûre que ça éclaire grand chose mais bon.