Journal de fouilles (18XX-19XX), extraits choisis par Axel Sourisseau
o
22 novembre 18XX
Kinra, capitale aux mille coupoles,
cité aux mille fanions
pourquoi devons-nous quitter tes flancs abrupts
mais nôtres ?
Quelles sont ces ruines alentour ?
Sommes-nous vraiment ces spectres qui,
baluchons sur le dos,
glissent vers le néant ?
Nous passons à l’aube, défilé immense,
devant les vieillards qui jouent aux échecs
sous le Grand Portique.
Nous passons à l’aube,
défilé immense,
devant nos mères qui s’entraînent encore
près du bassin de joute.
Pourtant nous les quittons,
laissant tout leur espoir
au bon vouloir des statues.
Nos amours à l’aube, défilé immense,
scandent encore les fontaines
et les venelles adjacentes,
là où l’un apprit à écrire,
là où l’une tomba de beuverie,
là où l’autre vit pour la première fois
marcher ses petits
désormais ensevelis sous les décombres
nos petits ne nous regardent plus
et emportent nos âmes
vers les larmes du Septentrion.
Anonyme, « Complainte de l’exil vers le Septentrion » (vers 1328-1335)
28 novembre 18XX
Cela fait deux mois bientôt que je ne vois quasiment plus la lumière du jour. Elle ne me manque pas, et mes yeux pleurent de retrouver chaque soir le crépuscule, irradiant. Alda est la magicienne de cette découverte qui n’est pas la mienne. Elle me disait qu’il était temps qu’elle me dévoile un monument que la Grande Délégation avait déplacé dans la nécropole. Afin de garder le mystère de ce déplacement, les différentes confréries s’étaient alors chargées de démonter d’autres monuments et d’en détruire tout un tas d’autres, si bien que les rares habitants qui avaient connu Kinra avant le dernier tremblement de terre perdirent la mémoire. Elle, Alda, était persuadée d’avoir trouvé l’objet de tant d’attentions, parmi les leurres : une ruine au socle fin et transparent, que surmontent quelques colonnes ébréchées. Tandis que je l’examinai, Alda commença à siffler la mélodie souvent chantée pour accompagner un poème d’Amir Nissèv. Je n’avais pas encore surpris son regard. Ce n’est qu’au moment où je distinguai le premier fragment d’inscription que nos yeux, Alda et moi, se croisèrent. Il y avait de la malice dans les siens, de la surprise chez moi. Mon intronisation se déroulait paisiblement, sans que je m’y sois attendue le moins du monde. Des fragments manquaient mais tout indiquait une dédicace. Ou plutôt, un fragment de discours ? Ou bien… Les dernières scories apparaissent et reprennent leur place originelle, et s’éclaire pour moi le plus grand secret, l’épitaphe triomphante :
Ici repose un poète
lorsqu’il vivait son nom était un tombeau
partout désormais
ses mots pourtant résonnent…
Puis, c’est Iris et Nori qui, s’aventurant dans les fourrés, se faufilant naïvement entre les blocs ébréchés, disparurent sous le monument. Tout essoufflées, ressurgirent bientôt pour m’engager à les suivre. Je m’attendais, grande gigue que je suis, à me retrouver nez à nez avec un cadavre illustre. Mais, éclairant de mon petit miroir les parois du tombeau, me retrouvai dans une sobre cache remplie de codex… En tous sens, un empilement de manuscrits plus incroyables les uns que les autres. Des inédits d’Amir Nissèv mais aussi des écrits postérieurs, des recueils d’Ashûria, des chroniques de Littar Gonn et bien d’autres encore inconnus ou considérés comme perdus. Les médiateurs du Ministère des Antiquités pouvaient bien me chercher dans l’immensité des ruines pendant des jours entier, je n’allais pas quitter ma cachette avant plusieurs semaines ! L’étude de ces textes sera partagée ici avec leurs descendants, avant que je ne rentre incognito dans la capitale, afin d’en publier un jour ou l’autre les traductions. Indépendante, et honnie de l’Etat. Tant mieux. Puis je reviendrai ici retrouver ma famille de cœur vraie.