un jour…
…un autre…
et puis…
– or autour de la table ils étaient cinq et dont le centre était la mère, la mère au bout du chemin, la mère de l’ami. il était venu à son invitation pour partager un repas, son ami lui disait qu’il faisait du bien à sa mère, sa vieille mère au bout du chemin, que sa présence lui redonnait force. lui avait du mal à le comprendre mais il voulait y croire, et alors il était venu pour partager la soupe, le confit de porc, le vin âpre. et comme il mangeait il observait ses amis qui agissaient avec leur mère, celle qui les avait conduit au monde et à ses peurs, ses joies, ses trous noirs. il les regardait porter la cuillère à la bouche, parler tout près de l’oreille, considérer. il s’était alors demandé s’il aurait la force. il avait pensé à sa mère, à lui, à des années devant, lorsqu’elle serait peut-être à ce point dépendante de lui et de ses frères. sa mère à lui, loin, à l’autre bout du pays, quitterait-il tout pour lui donner la soupe, amis, famille, joies des passions et du temps à soi ? serait-il là pour recouvrir ses vieux jours de ce voile de tendresse qu’il devinait dans les yeux de l’ami, là juste derrière la tristesse et la fatigue ? dans trente ans, un jeune homme regarderait-il de l’autre côté de la table ses frères et lui déplacer le corps frêle de sa mère pour la porter au repos ? et il souriait. car il espérait ce courage, pour lui, pour elle, et il rêvait aux générations et à leurs gestes. il y avait le chien qui posait sa tête sur ses genoux, qui empestait, et il souriait. il y avait la lumière qui passait par la fenêtre, celle sur laquelle un cailloux avait frappé au passage de la tondeuse, et la brisure diffractait la lumière, et la mère ne tenait plus debout et les enfants patients raclaient le fond du bol. et il souriait. il pensait à sa mère. aux pardons, aux sacrifices, et aux mains que l’on ose, sur la nuque de ceux qui partent.-
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– ce que la lune faisait là, au matin, au-dessus des champs brisés par le givre qui s’élançaient comme depuis leurs fenêtres, il ne savait l’expliquer à l’enfant. cette incongruité la faisait rire et ajoutait aux fraîcheurs des réveils. il ne savait l’expliquer, et très vite il s’était aperçu qu’il ne le voulait pas. voilà ce qui pour lui prenait poids : dire « je ne sais pas » à l’enfant, c’était lui signifier que les réponses manquaient, et qu’ils n’en étaient que mieux au monde, elle, lui et ceux qui comme eux avançaient. c’était lui apprendre que parmi les bruits restaient certains recoins de silence, et que dans ces interstices naissait la lumière du monde. dire « je ne sais pas » à l’enfant, c’était lui laisser la place qui lui revenait, non pas pour la pousser à parvenir là où lui avait été mis en échec, mais pour l’inciter, laissant intacts certains humbles mystères, à poser chaque jour à sa suite les questions sempiternelles. –
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– c’était une île gardée par les cygnes et la pluie. il y avait passé quelques jours dévolus à lui-même et à son travail, qui s’étaient révélés aussi bien jours de rires et de complicités. pour le dire mal, il s’y était rejoint. c’était dans le pays natal et l’air était différent, peut-être. jusqu’ici il n’avait pas compris à quel point. ceux qui foulaient l’île du pied, qui l’accueillaient, semblaient avoir trouvé un chant quotidien qui le rendait à une euphorie d’enfant. le froid passait sous les portes, le bruit agaçait les murs et pourtant, contenus dans ces manques, il avait trouvé leurs contraires. la chaleur de celui, de celle qui devenait ami, amie, compagne ou compagnon, compensait le froid. le silence des regards compensait les vacarmes. tout brillait, chaque matin se couvrait de promesses. dans la voiture le ramenant chez lui, il avait senti monter en lui l’énergie du combat pour une vie bonne et entière. il ne savait pas au juste de quoi il s’agissait. mais il savait ce qu’il avait vécu sur l’île. peu de choses, en réalité. et tant. il avait à hurler sa force vive. et toute la vie devant lui pour en faire, à qui voulait, cadeau.-
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photo © Egor Kamelev, pexels.