Immy Mali est une artiste multimédia qui vit et travaille en Ouganda, à Kampala. Elle a été sélectionnée pour la biennale 2020 d’art contemporain africain de Dakar (Sénégal) et pour la biennale 2020 de Casablanca (Maroc). Elle a exposé en Ethiopie, au Kenya, en Afrique du Sud, en Inde, en Allemagne, aux Pays-Bas et au Danemark. (Traduction, introduction et notes par P. H.-SC.)

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Ma jeunesse

J’ai grandi dans une maison la plupart du temps pleine de filles. Tandis que les autres passaient leur temps à se tresser les cheveux, à apprendre à danser et à accomplir des tâches ménagères, je me plaisais, et c’est toujours vrai, à casser et à fabriquer des choses. Quand j’étais enfant, je me suis coupé profondément le pouce avec un couteau de cuisine dont je me servais pour confectionner une porte destinée à une petite maison que je fabriquais avec des garçons du voisinage. Je posais les briques aussi et, plus généralement, dès que j’en avais l’occasion, je modelais de la terre glaise. J’aimais aussi dessiner et écrire.

Au début, je pensais que l’architecture était la voie dans laquelle je voulais aller ou bien l’enseignement, mais quand j’avais un crayon et du papier, je dessinais, dans mes livres de maths et de physique entre autres… Alors quand je n’ai pas pu aller en école d’architecture et que je ne pouvais choisir qu’entre des études d’économie-statistiques et d’art, j’ai pris mes crayons et mes pinceaux et mon voyage en art a commencé. Ma mère m’a dit : “Si c’est ta passion et si tu peux trouver comment en vivre, vas-y, je te paierai les cours.”

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Ma première œuvre d’art

Papa, est-ce que je peux jouer !? a été créé en 2013. C’est un terrain de jeu fait avec du verre cassé, des cheveux, du métal rouillé et des capsules de bouteilles de bière. C’était la première fois que je m’essayais à employer des matériaux trouvés. A l’époque, je me sentais très concernée par l’enfance et j’avais beaucoup de curiosité pour les enfants. L’œuvre porte sur l’attrait des enfants pour le jeu et sur l’obligation qu’ont les adultes de protéger les enfants.

Papa est-ce que je peux jouer ?!

2013, 5×3,5×5 m, installation, carrière de Buziga à Kampala, par courtoisie du Graduate Residency Program 32° East, Ugandan Arts Trust, photo Moses Serubiri.

Je suppose que le recours à Papa dans le titre exprime d’une certaine façon le manque d’une connexion à un père qui est une figure absente. Et la ponctuation ?! exprime justement le paradoxe qu’il y a à demander une permission à cette figure absente. Quand j’ai fait cette œuvre, mon intention était de m’intéresser aux enfants de manière générale. Ensuite des liens avec ma propre absence des terrains de jeu ont commencé à se tisser. Après un accident médical à l’âge de sept ans, qui a causé une paralysie de mon pied gauche, mon temps de jeu a été limité par la douleur ainsi que par les adultes qui me soignaient, et remplacé par des séances de soins. C’est peut-être l’événement qui est à l’origine de l’œuvre.

En 2013, j’en étais arrivée à expérimenter des matériaux alternatifs et donc au lieu d’utiliser de la fibre de verre, j’ai choisi d’utiliser des cheveux à cause de leur texture. J’ai toujours vécu dans une maison pleine de femmes depuis mon enfance. Ma mère, mes sœurs, mes cousines, mes tantes, et il y avait aussi mes camarades d’internat au lycée. A tout moment, il y avait au moins quatre femmes à la maison. Je ne crois pas que cela a été un facteur décisif dans ma décision d’employer des cheveux dans cette sculpture mais je ne peux exclure que cette exposition à toute cette masse que formaient les chevelures de ces femmes ait influé sur mon choix.

Petit à petit tandis que je collectais les cheveux des femmes de ma famille et des salons de coiffure, les divers usages que je pouvais en faire ont commencé à se dévoiler. Certains cheveux sont, paraît-il, des cheveux humains d’Inde et du Brésil, une petite partie sont des cheveux synthétiques fabriqués à Kampala, et le reste est constitué par des cheveux africains naturels.

Collecter des cheveux n’était pas chose facile dans la mesure où les cheveux constituent des objets sacrés dans bon nombre de traditions ougandaises. La crainte que ses cheveux soient utilisés dans des rituels magiques est apparue et je devais toujours expliquer pourquoi je les collectais, pour rassurer les gens mais parfois sans succès. En revanche, collecter des cheveux synthétiques ou “d’étrangers” dans les salons de coiffure locaux était plus facile dans la mesure où je n’avais pas de relation avec ces gens et où de toute façon ces cheveux allaient être jetés.

En sécurité ici

2016, performance, durée 30 minutes, par courtoisie de la Biennale d’art de Kampala 2016, Rift Valley Railway, Kampala, Ouganda, performance reprise par Rosalie van Deursen. Video : https://vimeo.com/188174742

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Les mots, un autre matériau

Dear Marcue Love Immy

Livre en 5 parties, 23,5 x 29 x 4,4 cm, l’accordéon déplié mesure 4,7 m de long, photo Immy Mali.

P. H-SC.: Lettres à mon Enfance est une œuvre complexe avec une référence marquée au langage dans le titre même ainsi que dans les Lettres à Marcue. Y a-t-il beaucoup de lettres ? Et pourquoi ce nom ?

Immy Mali: Marcue est le surnom que l’on me donnait dans mon enfance. Il est encore employé par la plupart de mes proches. Ce personnage représente mon enfance. A l’époque où j’ai publié Dear Marcue love Immy, j’avais écrit 66 lettres. Aujourd’hui, leur écriture se poursuit car les sujets abordés se multiplient et j’ignore quand ce travail se finira. Il n’est pas inutile de préciser que j’écris à Marcue sans régularité, de manière aléatoire, en prenant le premier morceau de papier qui me tombe sous la main.

Lettre 27b

Traduction et transcription à la fin. (1) Photo Immy Mali. « Les lettres étant disposées sur une table basse, le public est invité à s’asseoir et à les lire ».

P. H-SC.: Vous regardez-vous comme une écrivaine ?

Immy Mali: Je me vois comme une artiste et quel que soit le matériau ou l’outil qui se trouve entre mes mains, je l’utilise. Parfois, je trouve que je m’exprime mieux dans un texte, alors je me livre à l’écriture. 

P. H-SC.: Vous écrivez des lettres à Marcue qui représente votre enfance, Immy, mais est-ce que Marcue vous répond ? (Réponse de l’artiste après les notes 2 et 3 ci-après)

(2) Maison de Poupée de Marcue, 2018, sculpture en acier rouillé, fibre de banane et habits de poupée, tissu, 670 x 2800 x 1800 mm. ( Immy Mali website: https://immymali.com/letters-to-my-childhood/ )

(3) Sounds of Memory, 2018, 30 minutes, “ce paysage sonore se compose de comptines, de chants et de contes populaires en lugbara, en luganda et en anglais (les 3 langues dans lesquelles j’ai été élevée). ( Immy Mali website: https://immymali.com/letters-to-my-childhood/ )

Immy Mali: Marcue’s Dollhouse, Sounds of Memory (4) sont entre autres œuvres ce que je regarde comme des réponses à mes lettres. Quand j’ai commencé à écrire ces lettres, je ressentais une curiosité émue face à la nature particulière et précaire des installations que je faisais alors en rapport avec l’enfance. Des installations comme Papa est-ce que je peux jouer?! Embarquée dans la rédaction des lettres, j’ai commencé à voir qu’une guérison, une purification devenaient nécessaires à un point même que cela pouvait paraître étrange. Je considère que ces œuvres d’art sont des réponses aux questions que je pose à Marcue dans mes lettres.

Annexes

 1) Lettre à Marcue

Je parle lugbara maintenant mais c’est ce que tante Jane appelle du Kampala-lugbara. Il est mélangé de mots luganda, swahili et anglais. Heureusement les sons et les tournures ressemblent à du vrai lugbara.

Tout comme tu corriges tous les adultes quand ils parlent un mauvais anglais, tous les enfants corrigent mon lugbara au village. C’est humiliant. Je dois dire, mais peu importe, apprends bien le lugbara tandis que tu le peux. Ne laisse pas les punitions reçues parce que tu parles une espèce de jargon te détourner d’apprendre vraiment bien la langue de ta mère.

Continue à chanter ces chansons et à écouter toutes les histoires traditionnelles que Anakuru te raconte. Je suis sûre que tu apprendras beaucoup de lugbara à travers ces contes populaires…

Ale mi tu. Mya a muke.

Affectueusement,

Immy Mali

PS: Nous sommes le 25 septembre 2018 et je vais rencontrer les amis qui m’aident à écrire mieux.

« Les lettres s’inscrivent dans un espace très personnel et intime mais en même temps elles explorent le contexte socio-politique et économique de l’Ouganda dans lequel l’artiste a grandi et continue de vivre. Parmi les sujets abordés, il y a la vie quotidienne dans la famille, la religion, l’identité ; les conséquences post-coloniales à travers le système éducatif et les effets des migrations inter-urbaines dans un pays où il y a plus de 54 groupes humains. » (Immy Mali website: https://immymali.com/letters-to-my-childhood/ )

(4) Les Echos de la Mémoire sont une partie du projet Lettres à Marcue. Ou pourraient être une reprise de ce même projet sous la forme d’une installation montrant la « Maison de Marcue ». L’installation comprend vidéo, sons, sculpture et objets trouvés. Un espace qui se présente comme un environnement domestique chaleureux. »

Liste des œuvres : la Maison de Poupée de Marcue (sculpture), l’Album Photo de Marcue (vidéo), Échos de la Mémoire (enregistrement sonore), le Mur de Famille de Marcue (séries de photos).  ( Immy Mali website: https://immymali.com/letters-to-my-childhood/ )

Immy Mali

Immy Mali

Immy Mali est une artiste multimédia qui vit et travaille en Ouganda, à Kampala. Elle a été sélectionnée pour la biennale 2020 d’art contemporain africain de Dakar (Sénégal) et pour la biennale 2020 de Casablanca (Maroc). Elle a exposé en Ethiopie, au Kenya, en Afrique du Sud, en Inde, en Allemagne, aux Pays-Bas et au Danemark. ................. Immy Mali is a multimedia artist living and working in Kampala, Uganda. She has been selected for the Biennale Contemporary African Art 2020 in Dakar, Senegal and for the Casablanca Biennale 2020 in Morrocco. She exhibited in Ethiopia, Kenya, South Africa, India. Germany, Netherlands and Denmark.

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