End of september ou giusto il tempo per una sigaretta est le titre d’un court-métrage de Valentina Casadei, dont Fragile a publié des poèmes en italien et en français. La poétesse et cinéaste répond à quelques questions.

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Pourquoi choisir de changer le titre du film dans sa version anglaise, en déplaçant le temps-durée en temps-saison?

Valentina Casadei : Ayant la possibilité de donner un sens supplémentaire à cette histoire, j’ai décidé de saisir cette opportunité. Il me plaisait que le titre anglais apportât une clé supplémentaire à la compréhension de ce qui se passe. Fin septembre, en Italie, tout le monde retourne à l’école après les vacances d’été. Il était important pour moi de transmettre cette atmosphère de nouveau départ à travers ce titre.

Ouvrir le film par le trajet en scooter c’est l’ouvrir par le mouvement (essence du cinéma), pourquoi ?

Valentina Casadei : Le début du court métrage en moto représente la frénésie. Il représente surtout la difficulté pour le protagoniste – le frère aîné – de réussir à être à la fois un garçon d’une trentaine d’années, à la fois le père que les deux frères n’ont jamais eu. Cette scène n’est rien d’autre qu’une représentation de sa difficulté à jongler avec toutes les responsabilités qu’il doit assumer et que, s’il vivait dans une famille non dysfonctionnelle, il n’aurait pas à assumer.

Qu’est-ce qu’une mère dysfonctionnelle pour vous ? (avec en contre-champ l’opposition avec la « bonne mère » amenant son enfant à l’école). En lien avec le social ? la société ? L’amour de cette mère peut-il être fonctionnel alors que son comportement est dysfonctionnel, ce qui explique que le grand frère ne veut pas de la police, veut protéger la mère ?

Valentina Casadei : Aimer et bien aimer sont deux choses très différentes, tout comme les conséquences sur ceux qui sont aimés. L’amour de cette mère n’est pas fonctionnel parce qu’il n’y a pas de respect envers ses enfants, et tout amour sain commence par le respect pour se construire et évoluer. L’amour de cette mère est peut-être pur, mais il est limité par sa personnalité autodestructrice et immature. Le fait que le fils ne veuille finalement pas que la police soit appelée représente une tentative de protéger la mère et l’équilibre délicat dans lequel se trouve ce trio fragile. C’est parce que l’amour est là, mais qu’il n’y a pas encore de prise de conscience de son caractère destructeur et nuisible.

Et le visage de la mère, le tabou ou le non-vu ? On ne sait pas qui c’est parmi les femmes de la fête, puis on ne la voit pas enfermée dans les toilettes, juste sa voix, ou le visage caché dans les draps. Pourquoi le cinéma, pulsion scopique, refuse-t-il ici qu’on la voie ?

Valentina Casadei : Dès le départ, lors de l’écriture des différentes versions du scénario, la mère ne figurait jamais physiquement. Ce choix a été dicté par la volonté de transposer à l’écran la métaphore de ce qu’elle est concrètement pour ses enfants : un fantôme. Lui « enlever son corps », c’est lui enlever le rôle de mère, auquel elle a elle-même – sans s’en rendre compte – renoncé depuis toujours.

Comment votre cinéma, votre agencement des images, parvient-il à juger sans juger ?

Valentina Casadei : Je n’emploierais pas le mot « juger ». Ce que je voulais faire, c’est mettre en lumière une réalité fragile qui existe et qui, malheureusement, est plus fréquente qu’on ne le pense. En être conscient en tant que citoyen nous permet d’avoir plus d’empathie pour notre entourage. Nous devons nous rappeler que derrière le sourire d’un inconnu, il y a toujours un monde que nous ne connaissons pas et que, par conséquent, nous devons traiter tout le monde comme nous aimerions être traités nous-mêmes.

Ali dans le parcours de l’enfant. Que symbolise ce personnage pour vous ? Quelle place sociale (ancienne ou moderne) occupe-t-il ? Même question pour le grand frère (avec cette belle ambiguïté de départ où l’on peut croire qu’il est le père de l’enfant)

Valentina Casadei : Le rôle d’Ali est très important pour moi. Ce personnage n’agit pas seulement comme un ange gardien et une béquille émotionnelle pour les deux frères, mais il représente le père que les deux frères n’ont jamais connu. Giulio, le jeune frère, contrairement à Christian, l’aîné, est métis. Ce choix a été dicté non seulement par la volonté de distinguer les expériences des deux frères, mais surtout de rapprocher le personnage de Giulio de celui d’Ali. Le père de Giulio était lui-même d’origine africaine. Quelque chose de viscéral, au-delà du rationnel, unit ces deux personnages. D’ailleurs, je conclurais en disant qu’avec ce court métrage, ce qui m’importait le plus, c’était de montrer une alternative à la pensée des médias de masse qui consiste à voir dans le « différent » la cause des problèmes de la société. Dans cette histoire, la maison est perçue comme une panic room, et c’est précisément en quittant la maison et en allant vers la « différence » que ces deux frères peuvent trouver un peu de paix.

La vodka, symbole de la misère sociale, plus que la banlieue ? Trois bouteilles dont les goulots dépassent du sac… Eux, le cinéma choisit de les montrer.

Valentina Casadei : La vodka symbolise avant tout une jeunesse pas encore abandonnée. La vodka comme élément dramaturgique décrivant l’état émotionnel de la mère : une femme de presque cinquante ans dans un corps d’adolescent à la dérive. Le fait que ce soit son fils de dix ans qui aille chercher l’alcool de sa mère représente l’absence de limites et décrit les dangers que courent ses enfants en restant dans cette situation avec elle.

Les inserts sur les jouets, plutôt que l’enfant jouant. Pourquoi ?

Valentina Casadei : Question intéressante. À vrai dire, j’aurais pu choisir de filmer l’enfant en train de jouer également. Ce qui m’importait, c’était la présence du « monde du jeu » pour Giulio. Malgré les difficultés qu’il rencontre, Giulio continue à jouer, à s’émerveiller. Et cela grâce à la présence de son grand frère, qui essaie de lui épargner la douleur que lui il a connue, n’ayant eu personne pour le protéger quand il était enfant. Les enfants ont en outre une incroyable capacité à oublier et à croire ce qu’on leur dit.

Première image deux casques de dos, sans visage. Dernière image, le visage souriant, la pause de la cigarette, les yeux bleus. Ou comment passer du casque de dos au visage de face/de profil ? Le cinéma pour montrer ou cacher ? Le court-métrage en particulier ?

Valentina Casadei : Le choix de commencer le court métrage sans montrer tout de suite les visages, mais en entendant seulement le grondement du moteur et en ne voyant que les deux casques de l’arrière de la moto roulant à pleine vitesse, a été dicté pour augmenter le sentiment de tension. Il s’agit de créer depuis le départ un décalage entre ce que vivent les gens et la réalité difficile de ces deux garçons.

Emmener un enfant à lécole, enjeu et symbolique ?

Valentina Casadei : Exactement. La différence entre les enfants de l’âge de Giulio et Giulio, c’est que pour tous, ce sont les mères qui emmènent les enfants à l’école, et pour Giulio, c’est son frère aîné. Il était important pour moi que cette différence soit représentée de cette manière et que le sentiment de solitude et de marginalité soit exacerbé.

La cigarette ou les bonbons ? La cigarette partagée versus les mégots froids emplissant le cendrier dans un insert. Passage de l’enfance à l’âge adulte ?

Valentina Casadei : La cigarette partagée comme métaphore de l’union de deux êtres humains. Le détail du mégot dans le cendrier pendant la fête n’est rien d’autre qu’une caractérisation de la mère et de l’atmosphère de la fête.

La vie moderne (école, patron, épicier), quelle place pour l’enfant là-dedans ? (Bambini avant dernier-mot du film)

Valentina Casadei : La place de l’enfant ne devrait pas être celle où se trouve Giulio, qui fréquente des endroits et fait des choses de « grands ». Le fait qu’il grandisse trop vite se reflète dans les lieux qu’il fréquente, mais surtout dans ce qu’il y fait (dans l’épicerie, par exemple, au lieu d’acheter des biscuits, il achète de la Vodka pour sa mère).

L’enfant est un gâteau au chocolat, cette métaphore illustre-t-elle le film ?

Valentina Casadei : Non, mais cela illustre le soin que le frère aîné apporte à son frère cadet. Cela illustre sa capacité à parler le langage de l’enfant (parler de belles choses, qu’il connaît, des exemples directs et concrets). Il est comme le père qu’il n’a jamais connu.

L’enfant demande si les caractères du père et de la mère se mélangent chez l’enfant comme les couleurs de peau. La réponse du grand frère est étrange. Qu’est-ce qu’un caractère ? Se transmet-il génétiquement ? Fait-on un film avec des caractères ou avec des images ? Est-ce un film de caractère ou un film social ?

Valentina Casadei : Le caractère, la blessure, le fonctionnement d’une mère sont inévitablement transmis à ses enfants. Cela ne veut pas dire qu’avec le temps, la maturation et la prise de conscience, on ne peut pas se débarrasser de ce qui ne va pas (et garder ce qu’on veut) et qui a été transmis. C’est le sens caché du dialogue entre les deux frères.

Le court métrage – juste le temps : pourquoi ce choix du matin de rentrée à l’école, qui resserre le temps ? Le court-métrage comme art du bref, de la suggestion plus que de la narration ?

Valentina Casadei : Le cinéma sublime la réalité. Dans ce cas, le choix de l’unité de temps est un dispositif que j’ai décidé d’adopter pour renforcer l’émotion et exacerber la difficulté vécue par les deux frères, en augmentant ainsi l’urgence de trouver une solution.

La possibilité de la mort, dans tout le film ?

Valentina Casadei : Il n’y a pas de vie sans mort. Il n’y a pas de mort sans vie. La possibilité de la mort est toujours présente, quel que soit le type d’histoire. Dans celle-ci, il s’agit principalement d’une mort spirituelle en vue d’une renaissance et d’une reconstruction possibles.

Derniers regards : de profil tournés vers le haut (d’Ali et Christian), puis regard- caméra de Christian à la fin, se retournant une dernière fois. Quelle signification donnez-vous à ces regards très forts ?

Valentina Casadei : Le regard des personnages représente ce sur quoi ils décident de porter leur attention. Vers le haut – vers Giulio qui jette des bonbons par le balcon – représentant ainsi l’espoir. Le dernier regard de Christian vers Alì et Giulio qui, main dans la main, se dirigent vers l’école, représente la libération du personnage de l’enfermement psychologique dans lequel il se trouvait jusqu’à ce moment.

Chanson du générique final, lets get another chance. Cela résume-t-il le film ?

Valentina Casadei : while facing another day. Exactement. J’ai découvert cet artiste autrichien par hasard et, en l’écoutant, j’ai réalisé que « Gain » aurait été la bande sonore parfaite pour terminer le film. Non seulement en raison de ses notes minimalistes et mélancoliques qui renforcent l’émotion sans prendre le pas sur ce qui se passe à l’écran, mais aussi en raison de ses paroles, qui sont le miroir de ce que je souhaite à mes personnages.

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