Vincent Courtois : la corde sensible
Vincent Courtois a un nom à son image.
Notre première rencontre, à la Maison du Jazz à Paris, remonte au début des années 2000 : il se livrait alors avec le facétieux tromboniste Yves Robert à un concert totalement impromptu, à la manière des baroques en exaltant les vertus de leurs instruments respectifs. Ayant le dessein de l’interroger, je lui proposais de lui tirer le portrait, lors du prochain festival de Nîmes, aujourd’hui disparu. Mon premier papier célébra ainsi le nouveau compagnon de lutte du quintet de Louis Sclavis-c’était en 2001, dans le magnifique Affrontement des prétendants, où tout “contre contre”, le violoncelliste étoffait le registre des graves, épaulant le contrebassiste Bruno Chevillon, créant ainsi un hybride à huit cordes.
J’écrivais alors : Courtois appartient à cette génération de musiciens voyageurs qui transmettent au public leur amour de cette musique improvisée, lors de tournées qui les conduisent de Banlieues Bleues à Istanbul, via le Printemps de Nîmes … Qu’on le présente sous l’appellation jazz ne l’ennuie pas, mais il est évident qu’il se fiche des étiquettes, puisque sa démarche l’entraîne toujours ailleurs, de la tentation électronique au rapprochement des musiques traditionnelles. Il ne veut pas s’installer, mais essayer de nouvelles formations qui privilégient les rencontres. Tous ceux avec lesquels il a joué ont cette culture large, ouverte sur tous les horizons… Le travail sur le son , la recherche d’une matière tangible, du grain sonore à l’état pur, le passionne. Quant à son violoncelle, il en vante toute l’étendue, les multiples ressources des diverses tessitures… Instrument orchestre, qui joue un rôle d’avant centre, il apporte de la couleur, double la basse, ressemble au violon et peut évoquer une flûte…
Les rencontres ou affinités sélectives
De Vincent Courtois, on connaît le style inimitable et certains thèmes de prédilection qui ont irrigué des dizaines d’albums marquants, depuis Pendulum Quartet en 1995 . Ce musicien protéiforme échafaude patiemment une œuvre, imaginant des séries de pièces, des saynètes drôles et inventives en solo, duo, trio, quartet. S’il est toujours un accompagnateur exemplaire, il est devenu un leader reconnu. Et son dernier trio Medium, est l’une des formations les plus saisissantes qu’il m’ait été donné d’entendre ces dernières années. Car il a su valoriser l’apport des deux excellents saxophonistes ténor, Robin Fincker et Daniel Erdmann, créant ainsi une combinaison inédite d’instruments du milieu, proches du registre du violoncelle.
Continuité de la création : du côté de l’Atlantique
Restent entre autres parts d’ombre, celles contiguës aux mystères de la création et au monde de l’imaginaire que certains concerts et albums entre 2015 et 2018 ont dévoilé en partie.
La créativité de ce musicien peut trouver sa source dans ses souvenirs d’enfance, l’univers fantasmagorique des forains, enluminé des peintures de son père Jacques Courtois. S’inspirant de cette imagerie des baraques de forains, de concours de lutte ou combats de catch, de l’atmosphère étrange et fantastique de Freaks, le film muet de Tod Browning, il nous fait alors partager ces ambiances pourtant peu familières, entraînant son trio dans une sarabande folle, dans l’album éponyme Mediums. Au festival bourguignon de Jazz Campus en Clunisois, en août 2015, le trio que je découvrais alors enchaînait des titres de ce programme Mediums, obsédants et magnifiques, avec certains du suivant West (une nouvelle frontière à atteindre ?), en un écho brillant et soudain évident. Mais Courtois avait déjà d’autres idées à défendre, avec cette formation qu’il affectionne, sur les BO de films.
Bandes originales fut un autre album marquant, conçu dans la foulée, sans perdre de temps. On sait que certaines musiques deviennent partie intégrante du film et «Faire du cinéma, c’est faire de la musique» : les divers motifs des films choisis s’enchaînent, écrivant à leur tour une autre B.O, celle d’un film miroir que la formation intègre à sa manière propre. Que l’on connaisse ou non les originaux, on se pique au jeu, embarqué dans cette nouvelle aventure musicale.
Le tout dernier projet auquel j’ai assisté lors d’une création à l’AJMI d’Avignon en novembre 2018 s’insère dans une continuité idéale: composer une nouvelle B.O, celle d’un film imaginaire, reflet de la vie de Jack. Jack London évidemment, dont la vie singulière, émouvante en bien des aspects, a encore de quoi fasciner grands et petits, toutes générations confondues. Vincent Courtois et son trio ont donné leur version avec Love of Life de celui qui “a mené sa vie comme le galop furieux de quarante chevaux de front». Avec des thèmes traversés, retournés, souterrains qui affleurent et se déversent comme une lave en fusion, on s’abandonne à cette nouvelle histoire, cet art savant de la construction, avec des pièces qui deviennent vite des tourneries, magnifiées par ces instruments des timbres du milieu.
Le son du trio conjugue élégance et rudesse, sophistication et rythmes carrés, du dépouillement le plus humble aux élans les plus violents, entre cris et sifflements, chuintements, hoquètements, le registre profond et grave unifiant le tout, ouvrant des passages entre les genres. Car on passe vraiment d’un jazz chambriste à une musique pop, voire folk : aucun genre musical ne semble résister à leur curiosité et dextérité. Laissant la confidence s’installer sur fond de cordes, ils jouent une tension tourmentée illustrant le climat des nouvelles de London. Les notes remplacent les mots, retenue et intensité sont dosées, le jeu osmotique et pourtant complémentaire des ténors produit un effet si complet que le trio se transformerait presqu’en orchestre de chambre. On écoute sous emprise cette musique qui engage corps et esprit. De son violoncelle, Vincent Courtois peut tirer tous les effets, en jouer comme d’une guitare, avec un médiator arrangé, passer du classique à l’archet à grands traits rageurs, à un blues presque rural, sans oublier des incursions dans des territoires plus exotiques. Il explore tous les possibles, toutes les ramifications sonores jusqu’aux terminaisons pour en extraire des sons insolites, sans greffe électronique. Violoncelle appareillé, bien dans ses cordes, qu’il gratte, pince, frotte, il en tire les meilleurs effets, vous attire dans ses rets.
Depuis ce concert, Vincent Courtois, jamais à court d’envies et de rêves, est parti sur les traces californiennes de London, pour enregistrer l’album en juin 2019, embarquant l’ingé-son de la Buissonne qui le suit depuis longtemps, jouant là-bas un spectacle complet, des texte lus et interprétés par des comédiens amis avec inserts de photos aux montages de films des diverses expéditions de l’écrivain. Quoi de plus merveilleux que cette transversalité artistique qui donne envie de voir au cinéma l’adaptation d’un texte, ou de se replonger dans un livre après un concert enthousiasmant!
Sur le vif
Une musique fraîche et enthousiaste, grave et introspective pour un musicien établi qui continue à chercher, pour qui la chose qui compte encore est de se surprendre et nous surprendre. Expérimental tout en restant moqueur, il sait être audible pour le premier venu et l’attirer dans ses cordes, toujours sensibles. Maniant l’art de la surprise, de l’imprévu ( c’est le nom de sa compagnie) du contrepied, parfois de la répétition, à condition que la transe perde son sens habituel. Il ne renie pas l’héritage américain même s’il avoue sans ambages ne pas s’y reconnaître: suiveur de ceux qui ont ouvert la voie comme Michel Portal, il est fier de cette tradition européenne.
Vincent Courtois / Robin Fincker / Daniel Erdmann – Love of life – La VOD du Triton – YouTube
Portrait subtil et substantiel d’un musicien et de sa musique, qui incite à persévérer dans l’écoute d’une musique que je ressens comme savante et un peu froide en tous cas pour Am I blue ! Au fond l’impression que j’ai c’est que le film rêvé en creux par cette piste de ce rêve de BO manque pour lui donner un peu plus de chair, moins de froideur. Mais a persévérance à laquelle cet article m’a incitée m’a fait passer outre et écouter – et trouver plus d’affinités sensibles avec la VOD du triton et d’autonomie du morceau, indispensable puisque le film n’existe pas.