TRIO 109      EN SOMME

Romain Villet (piano), Fabrice Leroy (contrebasse), Nicolas Lefèvre ( batterie)

TRIO 109 – Romain Villet

Trio 109 – En somme (Teaser) – YouTube

Présentons tout d’abord le Trio 109 et leur premier opus En Somme. Aussi singuliers que puissent se montrer parfois les musiciens dans leur choix de titres, ils viennent rarement de nulle part, écoutons donc le pianiste Romain Villet :

Parce qu’il y a trois chiffres dans ce nombre et trois musiciens dans le groupe.
Parce qu’il y a autant de chiffres dans ce nom que de lettres dans le mot jeu.
Parce que 109 est un nombre premier, indivisible comme notre union.
Parce qu’il fallait un nom et que celui des autres s’écrit en toutes lettres

Le Trio 109 est donc le trio picard du pianiste, composé du batteur Nicolas Lefèvre et du contrebassiste Fabrice Leroy, rencontrés peu de temps après s’être installé à Amiens, préfecture de la Somme.. En somme, ils en sont là dans leur parcours respectif, et c’est évidemment un clin d’œil au département d’adoption de Romain Villet .

Sur Fragile, si vous suivez la rubrique Oreille, vous avez déjà entendu la musique et lu les mots de Romain Villet dans son spectacle-hommage à Oscar Peterson et son livre My heart belongs to Oscar qui nous avait fortement impressionnés, avant la pandémie!

Le pianiste portait haut l’héritage de son héros canadien, et My heart belongs to Oscar était un titre significatif. On pouvait penser que son idée du trio serait influencée par le trio de Peterson ou de King Cole dont il se revendiquait, plus que par la manière d’Ahmad Jamal ou même de Bill Evans qui révolutionnèrent l’art du trio piano-basse-batterie en leur temps. Il n’en est pas ainsi et on va de surprise en surprise en écoutant ce Trio 109 dans ce premier album. Si l’art du trio n’est pas renouvelé-le peut-on d’ailleurs aujourd’hui? la formation s’inscrit plutôt dans le sillage d’un trio trop tôt interrompu, celui d’ E.S.T, le grand trio nordique des années 1990-2000 du pianiste suédois Esbjörn Svensson  qui a bousculé certaines règles du jazz, introduisant dans des mélodies très chantantes des accents répétitifs et une rythmique volontiers électro.

Avec ce disque, le Trio 109 tourne le dos aux standards pour enregistrer ses propres compositions, co-signées à deux, “Un trot”, “Esquisse, “Joyeux Léon”, “Dialogues”, “Valse 4 3” signées par le pianiste et les autres titres de Nicolas Lefèvre. Les éclats vibrants ne sont pas feints dans la complicité palpable du groupe : dans l’écho de leur matière sonore, circule tout un courant d’énergies, poétiques souvent, expressives suivant un fil dramaturgique c’est-à-dire narratif.

Volontiers expansif, romantique, dans une belle palette chromatique où des traits nets, des articulations travaillées montrent une technique sans faille, se succèdent onze titres dans un juste équilibre, de longueur suffisante pour développer des idées, changer couleurs et climats, en fait désarçonner l’auditeur. Le montage alterne tempi rapides et lents de façon assumée comme dans ce “VII” aux métriques impaires. Des tempi emportés jusque dans cette valse où l’on a du mal à compter les temps… Si on s’attend à une valse caressante, on écoute une musique qui se découpe continuellement en fragments différents. C’est un jeu sur le 4 pour 3, d’où son titre. La section rythmique joue à 3 temps, la main gauche joue régulièrement en 4 et la main droite se balade entre les deux, technique dont raffolaient Errol Garner et Michel Petrucciani sur des mesures à 4 temps. Comme la formule marchait aussi sur 3 temps, pourquoi ne pas la garder s’est dit le pianiste?

Significatif du fait que le trio ne flâne guère sur des sentiers de traverse, un sens de l’urgence anime leur chevauchée poussée au train par les rythmes de la batterie et les emportements du piano. Un dialogue s’instaure entre eux, le plus souvent une conversation à trois, même si l’échange s’engage majoritairement avec la contrebasse en contrepoint du piano : les deux chants s’allient si naturellement qu’il arrive que l’un s’efface pour laisser s’épanouir l’autre et ce n’est pas toujours le piano qui conduit la danse. Un amour certain de l’ostinato se révèle dans le jeu de Romain Villet dès l’ouverture “Trot” où, avant que ne le rejoignent la contrebasse et enfin la batterie, tout commence par la répétition obstinée d’un arpège. On écoute encore une “esquisse” bondissante et parfois pointilliste, appuyée sans être trop percussive, .

Vers quoi tendent ces compositions ? Si Earl Hines pensait trompette en jouant du piano  aux côtés d’ Armstrong tout de même -manière de sortir de certaines influences trop marquées sur son instrument, Romain Villet est fondamentalement  un pianiste, le corps prolongeant l’ instrument et il est parcouru de tout un réseau d’influences, jusqu’à des réminiscences de Bach ou de Michel Legrand, effleurées avec finesse, sans trop appuyer.

La musique du trio est très lisible malgré une certaine sophistication dans l’écriture, suspendue entre diverses tentations dont un lyrisme assumé aussi bien dans les chorus mélodiques du piano que dans les compositions du batteur, également chef d’orchestre classique; parfois illustrative comme dans une belle B.O, avec moins du swing attendu, le batteur drivant le trio dans des rythmes souvent binaires.

Transformant à la manière de peintres sur le motif, les sensations en formes colorées, leur parcours est fluide, agréable à suivre sans être jamais évident, tendu d’une tendresse inquiète, comme parcouru de sautes d’humeurs qui n’assèchent pas l’émotion. On ressent aussi une certaine intemporalité avec le sentiment d’un bond  dans le vide et dans l’inconnu, pratique classique du jazz. La trame finit elle par se détacher, se relâcher même, ouvrant alors l’espace vers des sensations océaniques ou de la mer du Nord, Somme oblige,  vers une lumière impressionniste comme dans le final, “Autre rivage”, plus apaisé et serein.

Trio 109 – 66°33 – YouTube

Sophie Chambon

5 Commentaires

  • Pierre Hélène-Scande dit :

    Un style allègre, une analyse ample et bien informée, bravo ! 🙂

  • Romain Villet dit :

    Merci pour cette présentation d’En somme qui, sans doute, donnera envie d’écouter l’album. — C’est par ici: https://music.imusician.pro/a/aMsUiAhC/trio-109/en-somme/

  • Sophie Chambon dit :

    Merci à vous deux, Romain et Pierre pour ces commentaires encourageants. Il est stimulant de suivre le parcours d’un artiste quel qu’ il soit ( je pense aussi aux acteurs) et d’accompagner ainsi de sa place leur évolution…

  • Laure-Anne dit :

    Très virtuose mise en appétit , bravo!

  • Dorio dit :

    Un trot Rien de trop Trotte menu open piano bar Quand le trio se barre À l’estime à l’oreille des doigts Au galop violemment Face au vent d’une valse à la corde d’une contrebasse sensible émouvante Avant que le piano ne reprenne son tempo Multipliant ses gammes et ses gambades Avant que les mots de ce texte Ne demandent grâce Incapables de reproduire ce dialogue avec les sons…En somme

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