Victor Malzac a obtenu le prix de la Vocation 2021 pour son recueil Dans l’herbe publié par les éditions Cheyne. Il répond à quelques questions et nous propose quelques extraits.Le titre de ton recueil m’évoque un poème de Verlaine : Sur l’herbe. Est-ce une simple coïncidence ou avais-tu ce titre en tête ? Et sinon, pourrais-tu éclairer ce choix ?

Victor Malzac: Le titre vient plutôt du recueil de Walt Withman : Feuilles d’herbes. Le choix d’un titre est toujours difficile pour moi. Comme pour Respire, j’ai préféré une forme de simplicité en récupérant le mot le plus utilisé dans le livre : Dans l’herbe. C’est étrange car le premier recueil portait sur le souffle, mais ici l’herbe, la terre, ça respire pas beaucoup. C’est plus un jeu sur la matière : faire corps avec la terre, être dans l’herbe, fumer de l’herbe, c’est un imaginaire végétal, minéral, ça rappelle aussi la mort, le cadavre.

Lors d’un précédent entretien, tu définissais ton rapport à la poésie par le prisme du rythme qui selon toi manquait à toute une partie de la poésie contemporaine, pourrais-tu préciser ce qui te semble nécessaire dans la réaffirmation d’un « rythme » en poésie ?

Victor Malzac: C’est amusant, car tu n’es pas le premier à souligner le fait que les images ne sont pas la priorité de mon écriture. J’écris avec des verbes, moins avec des images qui selon moi n’impliquent pas autant le lecteur. Je cherche à faire ressentir un étouffement, un bégaiement, et ça passe mieux avec des verbes, des rythmes. C’est une manière d’engager l’autre, d’expérimenter quelque chose. Ne pas dire, mais faire ressentir, juste le rythme, en premier. J’aimerais aller vers une symphonie d’incantation, impliquer les autres, « on » et pas juste « je ». C’est d’ailleurs pour cette raison que j’écoute presque toujours de la musique sans parole, le jazz, la techno : on entre dedans, les mots ne font pas obstacle.

Comment t’es venue l’idée du bégaiement ?

Victor Malzac: En lisant Respire lors de lectures et de festivals, je me suis rendu compte que je bégayais, je butais sur les mots, je m’énervais. Il y a des cassures. Le bégaiement, ici, c’est plutôt un énorme aveu de faiblesse. Et je pense que c’est nouveau, cette forme de bégaiement. Bien sûr, il y a eu des jeux sur le bégaiement chez Ghérasim Luca, mais il s’agissait plus d’expériences structuralistes ; ici, le bégaiement ne joue pas, je l’assume. J’ai des failles dans la diction quand je lis ; plus que de les masquer, j’ai décidé de les prendre à bras le corps. Je crois que l’écriture appelle toujours un problème, une angoisse. À treize ans on se sent pas bien, on bégaye, on s’ennuie, il y a de la culpabilité partout. J’aimerais aller vers un bégaiement de colère, ou de frustration, d’où le titre du cycle que j’écris : « Les Colères ». Mais Dans l’herbe, c’est encore un aveu de faiblesse. La poésie, il faut que ça déborde comme ça, c’est une danse, une valse, une vérité. Ou alors j’aime bien dire que c’est comme un mec bourré en soirée qui te tient la nuque, qui te parle, qui veut plus te lâcher, c’est pas agréable, mais ça te tient. Quand tu te confrontes aux mots, c’est là que ça commence à devenir inquiétant, que ça déborde.

Dans plusieurs poèmes parus sur internet, il m’a semblé déceler une réflexion ambivalente autour de la virilité (une sorte d’anthropophagie aussi), comme dans Les Grande pertes, Aimons des militaires, ou également dans ton recueil. Que tu recherches-tu à travers cette thématique ?

Victor Malzac: C’est intéressant, car c’est une direction que je veux poursuivre et assumer. Faire sentir une frustration liée au genre, à la masculinité. Ici, le garçon est dévirilisé, il souffre, puisqu’il est collégien, qu’il est puceau. Le bégaiement montre un manque de virilité, une faiblesse, une inutilité pratique. C’est tout le contraire du père, qui bosse, qui quand il parle dit des choses simples, compréhensibles, qui vont droit au but. Moi, on me comprenait pas quand je parlais. C’est ironique, je crois : mettre en valeur un gosse qui ne veut pas être viril, qui essaie de l’être, mais qui sait qu’il ne l’est pas. Il y a du ridicule ici. Mais on n’est jamais viril, c’est juste ce que je veux dire. Dans le recueil, il y a des scènes à plusieurs, avec les amis, où on se touche, se rassure, où on s’excuse : il y a un respect envers le corps de l’autre. La virilité c’est triste, elle est pas dans les attributs du corps. Il y a, pour les amis, une impossibilité de plaire fondamentale ; mais quand ils sont ensemble, ils ne s’intéressent plus à ça, l’ironie vient, ils s’en moquent. Au fond, celui qui parle dans mon texte, c’est un gamin qui peut pas s’empêcher de trouver qu’il est impossible d’être masculin, et qui déçoit ses parents pour cela.

Comment envisages-tu la suite ?

Victor Malzac: Comme je l’ai dit, Dans l’herbe est le premier livre de mon cycle « Les Colères », qui en comportera peut-être trois. Je suis prolifique mais je jette beaucoup de ce que je produis et, en ce moment, je travaille donc sur deux textes : un sur la France, les cheveux, la politique en bref ; un autre sur la fête et la jeunesse dans le Sud de France, qui aborde la folie, la frustration, les déviances et fait passer par les différents cercles des enfers. Ça va très bien dans ma vie, je vais très bien, mais je veux écrire quelque chose sur l’angoisse, sur la brutalité. Il y a aussi un roman (sur la virilité justement), mais ce serait une virilité caricaturale, quelqu’un qui voudrait à tout prix être un homme, alors il fait du sport, il se muscle, mais c’est vain, il est profondément malheureux. Grâce au Prix de la Vocation, je vais pouvoir plus facilement me libérer dans l’écriture, y croire davantage, ça me permettra de continuer ce que j’ai déjà commencé, le cycle, le roman, les concrétiser en étant plus serein concernant d’éventuelles publications. Et puis, je vais bosser la fac, enseigner assez rapidement.

(…) nous laissons tout pourrir au soleil,
nos viandes nos déchets

avec un mal au ventre dingue,
au foie,

pendant que nous buvons des bières, plein

de sucre pour grossir,

*

plein de sucre et nous fumons sans arrêt,
…….fumons
vingt fois par jour,

empoisonnons nos ventres.
et, et nous traînons, pleurons la nuit, toutes les nuits,
crachons. — nous arrachons

des mottes d’herbe, nous souillons
nos mains avec, nos cheveux gras, nos mères
et la membrane de notre pauvre cœur

énorme et lourd et gras.

et comme ça nous attendons que les jours
passent
dans une cour, sur le banc de l’école

et jetons des cailloux dans le vide,

*

……..en attendant
plein de cailloux

tombent, partout, plein, plein de cailloux,
et nous voulons nous jeter nous aussi. on a,

on a la voix qui porte, chuinte
en chœur, et grince, et nous grinçons des dents —

et, et
comme ça nous attendons, sous le soleil,
que nos pères se lèvent,

souillés pareil,
puants,

*

brûlés, saveur

de cendre, puants
dans le salon nos pères,

grignotant

le vendredi le lundi le mardi
devant la télé

sans rien sans aide non. et donc, et nous, et
nous les détestons pour cela, nos pères

tristes, …………tristes,

*

empoisonnés

par habitude, ayant mangé
vingt ans
des ronces des cailloux des clopes, mal digéré

les herbes molles de la ville,

non, nos papas sauvages, vidés, dans la,
dans la ruine depuis, depuis dix ans,

douze au chômage oui nos papas.

.

Dans l’herbe, Cheyne, 2021, p.20-24.

Germain Tramier

Germain Tramier

Germain Tramier explore les contrées de l'enfance et de l'imaginaire, son écriture s'inscrit dans le sillage des littératures oniriques ; elle porte une réflexion sur le temps ou la conscience, mais aborde également des notions plus politiques comme celle d'antispécisme. Son recueil Corps silencieux a reçu le prix de La Crypte en 2018.

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