Une poésie corporelle

 

Alban Kacher: Le titre de ton recueil nous renvoie au souffle et, par extension, au rythme et à l’oralité. Je me trompe ?

Victor Malzac: Non ; en effet, mon souci principal, c’est le rythme. Rythme qui manque justement à toute une partie de la poésie contemporaine, le primat de la narration conduisant généralement à un appauvrissement de la langue. L’importance que j’accorde au rythme est à la fois visible (puisqu’elle se traduit dans l’espace typographique) et audible (je pense par exemple aux échos sonores, sortes de rimes dissimulées). Je crois que respire est un texte qui gagne à être lu à voix haute.

Alban Kacher: Que la respiration permettre de vivre ou de réciter, elle est indissociable du corps. Quelle place a-t-il dans ton recueil ?

Victor Malzac: Les espaces étriqués qui dominent le texte (comme la chambre de la première partie) empêchent le corps de bouger. Mais, plus grave encore, l’angoisse et l’insomnie compriment les poumons, empêchant ce même corps de parler, si ce n’est en balbutiant. Paradoxalement, ça ne « respire » pas du tout.

Alban Kacher : Pourtant, le recueil s’ouvre sur une impression d’aisance, d’expansion: « je contemple la rue je dilate les bras je / respire ». De même au début de la seconde partie. N’est-ce pas qu’il reste tout de même de l’espoir ?

Victor Malzac: respire est rythmé par un double mouvement de compression et de dilatation. L’étouffement des apocopes laisse place doucement à un allongement progressif. Mon recueil met en scène une convalescence. L’échec amoureux te fait te comprimer, t’abîme, te dégénère ; il faut alors s’adonner à un travail de réappropriation. Il s’agit d’élargir, de faire d’un endroit névrosé un espace où tu puisses chanter, mais aussi, plus tard, d’un lieu trop lumineux et spacieux un espace où tu puisses te tenir.

Alban Kacher: Doit-on entendre dans ce « tu » une volonté d’intersubjectivité ? Considères-tu les poèmes de respire comme adressés ?

Victor Malzac: Oui, évidemment. C’est une incitation à dépasser les échecs amoureux, les situations dysfonctionnelles dans lesquelles trop de personnes s’engouffrent et se laissent étouffer. Je veux pousser les gens à se libérer, à jouir, à apprécier leur corps : et respire, ça fait du bien. La souffrance de ces moments de la vie pour le moins banals, quoique prenants, est elle-même utile et forte, puisque le travail poétique qui suit permet d’en tirer un rythme, un chant, de relancer la machine.

 

Sa chambre

d’un coup sec je
pourrais fendre le mur et même
le garde-fou
. laisse-moi

respirer. l’air tranche
ma vie.

tu dors tu vis tu râles
fort
comme l’air froid
. déjà le soleil
se lève derrière le mont Fuji

tape le garde-fou.

mon corps presque nu
vide par terre
comme priant contre toi
—— et face à la rambarde

j’espère.

toutes les nuits je
me bats

la crampe au mollet
rouge
comme une barre de fer —

je mords mon oreiller
les yeux convulsions j’ai mal. je pense
: il faut me battre

il me faut m’affermir faire la guerre avec le vide

les barres argentiques épaisses comme du zinc

heurtent
mon front       trop petit.

avec tes yeux je
me révulse —

comme si j’étais nu je tremble
tu me touches
la nuit
trop.

ma chambre est trop courte
ma vie. je vois
le rouge tapisser mon visage
ma honte

la lune
me grille, sourit
sans plus et presque nu je
me bats encore avec le sommeil
. jusqu’à la mort.

Né en 1997, Victor Malzac a connu vingt ans le Sud avant d’intégrer L’École Normale Supérieure et de rejoindre Paris. Après avoir publié dans de nombreuses revues, il voit son premier recueil, respire, couronné Prix de la Crypte en 2019. Cet ouvrage est paru en juillet  2020 aux éditions de la Crypte.

Ce recueil m’a fortement touché et influencé. J’ai beaucoup appris de la capacité qu’a ce poète à faire tenir ensemble des considérations existentielles, intimes, et une évocation du monde dans ce qu’il peut avoir à la fois de cosmique et de prosaïque.

 

 

(Photo de stein egil liland provenant de Pexels)

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