RIVAGES

J’ai découvert l’accordéoniste Jean Louis Matinier il y a fort longtemps, en trio (piano- saxophone-accordéon) dans un bel album au titre mystérieux et poétique, référence à Henry Purcell, Music for a While.

Music for a while
Shall all your cares beguile

Ces allusions précises à la musique de Purcell  jointes à d’autres citations de Mozart, Beethoven, Schönberg, ne trahissaient en rien la liberté d’une musique qui, dans ses dérèglements mêmes, rendait hommage aux pères fondateurs. Le choix judicieux de l’accordéon, riche en harmonique, en apparence extérieur au monde du jazz, introduisait avec ce timbre insolite, nostalgique, certains accents plus populaires, dans des pièces complexes mais séduisantes, recherchées, drôles, mélancoliques aussi. L’album se dégustait pour peu qu’on prenne le loisir de se laisser aller à autre chose qu’à la précipitation.

Avec cet autre opus, sorti cette année à la fin du confinement, cette fois en duo avec un guitariste, l’accordéoniste nous offre un voyage immobile, dans le temps autant que dans l’espace, une rêverie chambrée ouverte sur le monde, un folklore jamais partisan, plutôt imaginaire. Un univers poétique créé par un duo de musiciens singuliers pour ne pas dire atypiques qui ne se connaissent peut être pas depuis longtemps, mais se sont rencontrés pour aborder les mystérieux rivages du monde. Un répertoire étrangement varié qui garde une belle cohérence, puisque les onze petites pièces de guitare et accordéon, si elles font la part belle à leurs compositions et improvisations, intègrent parfaitement “Les berceaux” de Gabriel Fauré, ou un traditionnel “Greensleeves” qui n’est autre que le vibrant “Amsterdam” de Brel, nettoyé de toute scorie dans leur version instrumentale, retouchée avec sensibilité. Une démonstration classieuse de sobriété, mettant ainsi en avant la souplesse d’une musique, qui n’est jamais mieux servie que quand elle est jouée avec douceur, sans « guitar hero » ni accordéoniste star. Ce musicien hors pair qu’est Kevin Seddiki évolue entre classique, musiques du monde et jazz, dans les variations d’une limpide clarté d’une guitare caressée, frottée, pincée . Quant au jeu de Jean Louis Matinier, il a la fluidité et l’éclat du chant, la vitalité du cri.

Une musique de l’instant, qui prend son temps, tout sauf éphémère, où chacun a de l’espace pour faire vivre sa partie, interchangeant habilement les rôles, à l’aise dans le lyrisme mélancolique autant que dans une rythmique agile à changer de tempo. Une configuration souple et ouverte, une forme libre pour détourner le sens de cette musique qui réunit les époques. Cette conversation subtile, jouant sur les couleurs, les timbres, suppose l’engagement d’une écoute attentive et complice, un soutien solide et indéfectible quand l’autre s’échappe.

2 Commentaires

  • Laure-Anne FB dit :

    En effet, ce duo est magnifique ! L’accordéon est d’une incroyable délicatesse, et visiblement ces deux artistes ont de ces affinités de timbre qui font que les duos musicaux peuvent procurer l’émotion qu’on a à voir ces si rares très vieux couples se tenir encore tendrement par la main ou la taille, dans une absolue fraîcheur et hors du temps….

  • Sylvie dit :

    Merci pour cette présentation qui me donne vraiment envie de découvrir ce duo que je ne connais pas encore.

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