Une histoire d’anges : ode à Cecil Taylor

 

Two Angels for Cecil
Raymond Boni (g), Eric Echampard (d)

On se situe très exactement entre l’angle vif et l’arabesque quand Boni joue avec Echampard. Une sacrée conversation de cordes et de peaux. Malgré certains effets spectaculaires, la technique n’est jamais prétexte à virtuosité. Boni est un rythmicien hors pair, qui joue avant tout ce qu’il aime, part du jazz sans jamais le quitter, fidèle à cette musique d’imprévus. Il a la singularité des musiciens qui le sont devenus à force d’être amateurs, au sens noble du terme. C’est l’amour du pianiste Cecil Taylor qui est à l’origine de cette suite de plus de cinquante minutes, créée pendant une rencontre totalement improvisée avec Eric Echampard à l’AJMI d’Avignon, la scène locale jazz.
Ayant appris la guitare dans le style de Django, les liens avec le jeu de Cecil Taylor lui paraissaient naturels,“à la fois orchestral, poly-instrumental, percussif, très dansant, profond…la fulgurance d’un tempérament de fauve…»
Ce sont exactement les qualités de ce duo magnifique, où chacun, attentif à la réponse de l’autre, s’engage dans une conversation qui pourrait être sans fin, un espace d’improvisation et de liberté absolue.
Boni et Echampard semblent toujours avoir plaisir à partager une complicité originale et exigeante dont chaque nouvel échange complète le tableau de variations en série.
Echampard «au drumming ambivalent», plus percussionniste que batteur, joue à l’envi des timbres et des rythmes qu’il alterne, superpose, redistribue. Quand il abandonne l’énergie pure déployée aux baguettes pour effleurer des balais les cymbales, ou même laisse tout tomber pour suivre simplement la seule pulsation sur la grosse caisse, traversé par cet amour du rythme, tête penchée et yeux mi-clos, il suit très concentré le développement de ces pièces longues, difficiles, inquiétantes parfois.
Le choc sismique, on le ressent avec ce duo étourdissant, poètes de leur matière, à leur manière, incandescente. Two angels for Cecil est un titre splendide, très juste pour décrire la beauté dangereuse, les fractures de cette musique: subtilité frémissante du batteur Eric Echampard, ardeur bouleversante de Raymond Boni. A moins que ce ne soit l’inverse, tant ils permutent les rôles, dans cette évocation lumineuse où tous deux se livrent à corps perdu.

5 Commentaires

  • Pierre Hélène-Scande dit :

    Belle remarque sur les amateurs.

  • Ariane Beth dit :

    En lisant ce texte, j’ai l’impression de ressentir la musique. Sans doute plus que si je l’écoutais, en fait, car je suis béotienne en jazz, je l’avoue. Mais les mots , oui, ils me parlent.

  • Chambon sophie dit :

    C’est très juste d’ autant plus qu’ existe presque toujours un décalage entre le ressenti à l oreille et la compréhension, à la lecture. Et je ne sais pas, si près de vingt ans après, j’ aurai la même perception à l’écoute du duo. Les voir jouer apportait beaucoup….
    Quand on vous dit, fragile….😍

  • Jacqueline L'Heveder dit :

    Bravo Sophie pour ton professionnalisme et ta belle plume.

  • L-A dit :

    Oui, Sophie ça fait envie, ça fait rêve, mais où trouver un extrait à écouter maintenant que les mots ont fait leur beau boulot ?

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