Comme pour les films qui ont été défendus avant leur sortie en salles, puis brutalement arrêtés dans leur course, qui sortent donc en DVD, les musiciens ont été privés de concerts avec public, ils proposent leurs albums à l’envie.

Avant l’embouteillage des concerts redevenus live, redonnons à ces musiques une chance, repêchons  ces albums!

TWINS COLLECTIF LA BOUTIQUE

Fabrice Martinez (tp, bugle, arr) Vincent Peirani (acc)

Jean Rémy GUEDON (compositions)

 

Collectif la Boutique – Cristojazz

 

Enregistré en décembre 2019, sortie en août 2020.

Avec ce Jazz à neuf, on vérifiera que si rien ne se crée, si rien ne se perd, tout se transforme. L’ensemble Archimusic de Jean Rémy Guédon (1993) est devenu le Collectif La Boutique. Ce premier album du nouvel orchestre, Twins, rassemble neuf instrumentistes (7 hommes et 2 femmes) qui construisent un discours éloquent autour d’un quatuor de bois, issus d’orchestres classiques, d’une section rythmique contrebasse/ batterie, sans piano et de deux vrais solistes (accordéon et trompette) qui s’affrontent galamment, à part égale.

Le choix judicieux de l’accordéon, riche en harmonique, en apparence (seulement) extérieur au monde du jazz, on le sait à présent, avec Vincent Peirani, introduit de l’insolite et du nostalgique dans “Parmeric” par exemple avec la clarinette basse d’Emmanuelle Brunat.

La formation tout en nuances, sonne parfois comme un big band dans les arrangements de Fabrice Martinez, qui non seulement est un trompettiste/bugliste à vif, ne négligeant rien de ce qui vrille, mais aussi un directeur de troupe; il a repris le flambeau, assumant une forme d’héritage avec le groupe originel de Guédon. Dans le répertoire de ce premier orchestre, il a sélectionné onze titres qu’il reprend, réarrange en les revisitant. D’où une familiarité, une relation fraternelle et sans doute une explication possible à ce titre de Twins, premier projet du Collectif. Un changement certain dans la continuité, une belle aventure en tous les cas. C’est ainsi que l’on peut situer ce projet complexe, au croisement de nombreuses influences : irisations d’une musique qui renvoie aux délicates impressions, aux rutilances diverses de la musique française. “L’imagination “commence comme une pièce de Ravel, comme si le jazz transformait des standards qui ont pour nom chaconne, rondeau, gavotte, avec le soutien de l’accordéon, familier et toujours populaire.

Le jazz fait retour avec des passages improvisés, s’imposant comme dans “Parrain”. Non seulement les traits de la clarinette, mais tout le reste de la formation,  tend à équilibrer les volutes énervées du trompettiste qui sait vibrer sur tous les registres de son instrument. De brèves rencontres s’organisent entre les musiciens, installant différents climats même propres au cinéma : une plainte qui reste longtemps dans la gorge, un son déchirant dans ce “Peur et Religion” accentue un effet d’angoisse.

On retrouve toujours avec plaisir le batteur coloriste David Pouradier Duteil qui ajoute un nouvel ustensile à son set, jouant ainsi de l’udu, idiophone du Nigéria en forme de jarre. Le rythme ne faiblit jamais, il s’adapte à chacun, mettant en valeur le hautbois de Vincent Arnoult sur “La Nature Universelle”, chaloupant quand le trompettiste stratosphérise. Sans oublier les ponctuations décisives de la contrebasse d’Yves Rousseau qui ne se contente pas d’être accompagnateur et socle de la rythmique.

Chacun de ces merveilleux instrumentistes-il faudrait les citer tous, s’attarder sur les inflexions de chacun(e), s’abandonne avec une rigueur toute classique aux formes ouvertes, sachant se fondre dans des tutti électrisants. renforçant la dynamique orchestrale avec un sens admirable des contrepoints. Un ensemble impeccablement réglé dans lequel interfèrent les mélodies des saxophonistes soufflants “Avis aux Vieux”, “Darkniet”. Faire le pont entre des musiques souvent considérées comme inconciliables, c’est en montrer les affinités: le quatuor de chambre swingue, et s’il y a quelques dérèglements, ils sont raisonnés, d’où cet ensemble architecturé, solide et performant,  si entraînant dans le crescendo final de “Spaciba”.

L’album se déguste pour peu qu’on prenne le loisir de se laisser aller à cette configuration simplement libre. Une musique forte et tendre, élégante et poétique. Plus que convainquant, il faudrait juste pouvoir entendre le collectif live. Vite!

 

6 Commentaires

  • Cristofari dit :

    Très belle chronique qui donne envie d’écouter Twins ! Merci Sophie

  • Laure-Anne F-B dit :

    Article très inviting et précis, dont l’écoute ne dément pas l’éloge, j’espère que j’aurai l’occasion d’écouter un jour en live ce bel orchestre.

  • Merci de m’avoir fait découvrir cet ensemble qui déploie ses charmes et ses passions. Je me retrouve ce matin dans une rue de Buenos Aires, la calle Sierpes, (rue des Serpents), qu’un 14 juillet (1970) je « fatiguais » ayant en tête les accents déchirant d’un bando que j’avais écouté la veille dans une séance de « tango protesta ». Musique de « protestants » contre la vie et ses costumes en noir et blanc.
    Mais ici, (j’écoute maintenant le concert donné au studio de l’Ermitage le 13 février 2021 pour le Jazz Club de France Musique), foin de Borges et de milonga fatidique, le collectif « La Boutique », bugle et trompette, haut-bois, basson et l’accordé l’accordéon, soutenus par la contrebasse et les drums, nous transporte dans « les rutilances et irisations » (j’emprunte volontiers votre description), de nos vies, toutes nues, et toujours menacées, mais sublimées et confortées par « l’immense et raisonné dérèglement de tous nos sens ».

    Martigues dimanche 23/05/2021

  • Sophie Chambon dit :

    Je suis heureuse que vous ayez pu écouter ce jazz club, tout comme moi, un mois après l’écriture de mon texte. Le jazz fait retour avec cet intérêt obsessionnel, cette passion(partagée) des dates qui nous renvoie en 70 ( Bitches Brew, Liberation Orchestra…deux ans avant Chateauvallon. Quoi d’autre?). Surgit alors que vous marchez sur les traces de votre jeunesse, la figure de cet ange ( on pouvait le voir ainsi) gémissant au bando ( que je mixe volontiers avec votre « Accordé accordéon », prolongeant ? Tony Murena que cite volontiers Portal )…
    Avec vous, je ne crois pas me tromper, ça pulse, valse, tangue, mais ne swingue, ni ne bope, frissonne nostalgiquement. Un pas de côté à la Jimmy « joue free » (ah fulgurance carlésienne). Ça chambre comme ce jazz de la Boutique.

  • Je me souviens des sommets de l’art jazzistique dans le théâtre à la grecque de Châteauvallon. Proximité : j’étais assis à 5 à 6 mètres de Mingus, qui alluma son havane au début du concert et le fuma jusqu’à ses dernières cendres. Humour : l’Art Ensemble of Chicago et ses musiciens grimés comme au Carnaval suscitant nos rires et quolibets, car ce n’était pas un public qui était convié, mais des complices dans l’optique de mai 68, capables de faire dévier la pièce, vers un peu plus ou un peu moins de free. Nostalgie : je me souviens de la soirée du 23 août 1976 : Léon Francioli, contrebasse, trombone, Beb Guerin, contrebasse, Bernard Lubat qui commença par étaler les padènes (poêles) de sa maman landaise, pour faire un solo de percussions qui nous laissa sur le cul, puis se mit au piano, et Portal Michel le maestro, sax ténor, alto, bandonéon, clarinette et clarinette basse. Par hasard le matin, j’avais assisté assis, incognito, à proximité des musiciens dans un bar de Toulon, à leur discussion sur le concert du soir, une sorte de carte du tendre et du dur, un canevas qu’ils mettaient en perspective sans trop savoir où le chemin de l’impro les mènerait.

    Caminante no hay camino, el camino se hace al andar. (Machado) C’est en marchant que l’on trace son chemin Le chemin ce sont tes traces et rien de plus/ou bien/ Non pour celui qui marche il n’y a pas de chemin, Si ce n’est ses sillons qui vont se perdre dans la mer ( mes traductions toujours en suspens d’une prochaine tentative d’une phrase intraduisible. )

  • Sophie Chambon dit :

    Je le savais….j’ ai frappé juste. Pas trop difficile de deviner l’engagement de toute une jeunesse (ah le GFEN) politisée qui eut la chance d’assister à ces concerts mythiques. Bon sang quelle affiche…je ne sais rien de ce 23 août là mais quatre ans plus tôt même lieu, même date, Mingus ah, Don Cherry dans la pinède avec sa tribu ( dangereux disaient les pompiers) et notre Mimi (Portal) dans un concert « orgasmique » d’après les souvenirs de chanceux qui y étaient…

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