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L’article qui suit rend compte d’un concert-performance qui a eu lieu en novembre 2017 à Paris au cours duquel a été interprétée l’œuvre de Max Richter intitulée Sleep. Cette oeuvre a été diffusée par France Musique dans la nuit du lundi 13 avril 2020.
« Sleep » c’est le concept de concert de Max Richter. Ça consiste en quoi ? Accompagné d’une section de cordes et d’une chanteuse, Max Richter joue de minuit à 8h du mat à la Philharmonie de Paris. Les heureux élus qui ont pu choper des places matent le concert sur des lits aménagés pour l’occasion.
Le rendez-vous est fixé à 22h30 à la Philharmonie. On débarque et là, première surprise : le parterre d’invités arrive avec des sacs remplis d’oreillers, coussins, couvertures et sacs de couchages à l’entrée.
Ça se bouscule gentiment en attendant 23h. Max Richter arrive, et explique le principe de la nuit : « Aucun être humain ne peut emmagasiner totalement 8 heures de musique, donc vivez cette expérience comme vous le sentez. Certains dormiront, d’autres pas et d’autres dormiront un peu ». Ok, on pige.
Puis, chacun se rend dans les différentes salles pour se mettre au lit. Deuxième surprise (ou pas) : placement libre pour les lits. Alors ça va, on est pas dans le RER D, mais on va pas se mentir : personne ne veut se prendre l’orchestre en pleine face quand on veut dormir, donc chacun essaie de se choper la meilleure place. Il est 23h15, et on a 45 minutes pour se mettre à l’aise. C’est-à-dire ? Pour certains, la tenue adéquate pour dormir ; pour d’autres, carrément option pyjama.
Minuit pétantes, c’est parti : Max Richter démarre avec un solo de piano. On comprend que c’est l’intro. Sauf que, dans un concert lambda, l’intro dure quelques secondes, parfois quelques minutes. Là, ça dure pas moins d’une heure. Pourtant, on ne s’ennuie à aucun moment : le mec joue, et c’est le début d’un rendez-vous complètement hypnotique… Comme dans une soirée bercée par la musique électro, le concert se construira avec une intro, un milieu, et j’espère une fin, une descente en douceur…
Je regarde autour de moi pour voir si mes voisins dorment ; certains, oui. La Philharmonie nous avait fourni des caches-yeux, et c’est efficace. Je me demande bien comment ils font : le son est puissant, très puissant. Puis débarque la section des cordes… Ça s’enchaine : un débarque, puis deux, puis trois, puis tous. Après ce mouvement, alors qu’on se dit qu’il serait peut-être temps de dormir, une chanteuse arrive sur scène. Elle répète à l’infini quelques notes, comme un instrument. C’est très fort.
Je regarde autour de moi, certains essayent de prendre des photos et des vidéos, mais se font bâcher par le personnel directement. Et là, j’observe une scène surréaliste : un mec, qui ne veut apparemment pas dormir, circule debout dans les allées. Il le fera pendant les 8 heures de concert.
Ok, c’est bien tout ça, mais le concept s’appelle Sleep, et a visiblement été étudié avec des psychologues pour favoriser le sommeil. Pourtant, il est 2h et je ne dors toujours pas. J’essaye, mais pas moyen. Je suis littéralement happé par le son, avec ce mec qui continue de marcher entre les allées, une faible lumière bleue est le seul « phare » dans la salle…. Les séquences musicales se succèdent et la formation reste en fusion totale. Je suis tellement dans le son que j’ai le sentiment moi-même de faire partie de ce décor.
Il est 5h du mat, et je ne dors pas, je n’en ai plus envie. C’est tellement chargé en émotions que je ne veux pas rater une seconde. Un ami, installé juste devant moi, se retourne. Lui non plus n’a pas dormi. Je le regarde et lui dis « on est d’accord que l’on est en train de vivre un truc de fou là ? ».
Puis certains s’éveillent. Le son s’amplifie, et la descente commence. Il est 6 heures du matin, ce qui veut dire qu’elle va durer… 2 heures. Ça parait long, mais soyons clairs : on a perdu tout repère temporel il y a bien longtemps. Cette conclusion sera le climax où tout est juste : le piano de Richter, la section de cordes et cette voix qui arrive à intervalles réguliers… N’ayant aucune lumière naturelle dans la pièce, notre seul repère est l’arrêt de la formation.
Verdict : je n’ai pas dormi une seule seconde. Je ne voulais rien rater, pas même un centième. A l’issue de l’expérience, et après une salve d’applaudissements, un petit déjeuner est organisé à la sortie. La perspective d’un bon café et d’un bon croissant est alléchante. Mais là, j’ai emmagasiné une telle somme d’émotions qu’un simple échange social me paraît impossible. Je file donc tout droit chez moi, en me disant que je viens de vivre une nuit que je n’oublierai jamais…