« Je m’appelle Magdalena Van Beyeren. C’est moi, de dos, sur le tableau .

Voilà comment commence ce petit livre envoûtant.

Gaëlle Josse imagine quelques pages du journal du personnage figurant sur le tableau «  Intérieur avec femme à l’épinette  » d’Emanuel de Witte.

Je ne connaissais pas ce peintre. J’avais dû voir ce tableau une fois ou l’autre sans m’y intéresser aucunement, et voilà que depuis cette lecture, je ne cesse de le regarder !

Quelques pages de ce journal imaginaire couvrant à peine une poignée de semaines et nous voilà saisis par le charme mélancolique de cette femme.

Magdalena appartient à une famille de riches armateurs de Delft au dix-septième siècle. C’est l’époque où les riches bourgeois de Delft commandent le portrait de leur femme pour ajouter à leur prestige. On connaît les magnifiques tableaux commandés à Vermeer comme « La femme à la balance », qu’elle évoque d’ailleurs dans son journal .

Comment se fait-il qu’elle, nous ne la voyions que de dos ?

Peu à peu, elle se livre avec une sincérité bouleversante et, entre souvenirs et récit de son quotidien nous fait entrevoir son enfance, son bonheur auprès de son père, ses joies de jeune épousée, quand elle jouait de l’épinette pour son mari : «  La journée sera belle, lui disait-il, car vous avez joué pour moi. » Puis l’horizon s’assombrit, les grossesses à répétition l’épuisent, les deuils successifs de ses enfants morts en bas âge la plongent dans la mélancolie. A cela s’ajoute un lourd secret qui la mine et une religion étouffante. Elle, qui très jeune montrait un talent étonnant et remarquable pour le commerce, se retrouve cantonnée à son rôle de génitrice .

A travers elle, Gaëlle Josse nous fait mesurer combien, à l’époque, il est impossible pour une femme de s’épanouir, de donner la mesure de ses capacités dans une société où elle ne peut que se conformer au rôle qu’on lui assigne.

L’auteure, dans un style fluide et délicat, montre la riche personnalité de Magdalena, son intelligence rapide, ses émois de femme, son souci des autres, sa lucidité sur ses enfants, son mari, sur elle-même surtout ! Elle est tout aussi capable de faire une analyse fine de la situation commerciale de son pays que de décrire avec subtilité sa chambre dans laquelle elle a tenu à être peinte.

Plus largement, à travers ce petit livre, l’époque bénie du siècle d’or hollandais montre l’envers de son décor somptueux.

La femme vue de dos, engoncée dans sa lourde robe, la tête serrée dans sa coiffe imposante nous fait entendre une petite musique inoubliable : le regret d’être passée à côté de sa vie.

Elle n’a que trente-six ans.

Ne ratez pas le premier roman de Gaëlle Josse .

Quant à moi, je vais me précipiter sur ses autres livres….

Les Heures silencieuses, éditions Autrement, 2011.

(Photo par Rouaud, 1991,  https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=864876)

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