– comme il commençait à écrire sur sa ville natale et les impressions profondes qu’elle avait laissées en lui, il s’était rendu compte que sans doute il ne lui serait jamais donné d’y revenir. cette révélation soudaine, cette idée que désormais il ne serait plus dans sa ville que de passage, un homme « y revenant », lui avait rappelé un autre livre dont la lecture l’avait marqué. sans doute, se disait-il, vient-il un moment où chacun s’aperçoit que le berceau de l’enfance est sans retour, et qu’une nouvelle époque a alors commencé, dans laquelle il faut parfois se forcer d’advenir. l’idée de « ne plus en être » allait de paire avec celle d’oublier, de laisser s’effacer les couleurs et odeurs de là-bas, et une crainte l’avait étreint. son projet de dire sa ville lui était alors apparu comme une nécessité, un besoin qu’il ne lui faisait enfin pas trop peur de nommer vital, un travail de sanctuarisation non de la ville elle-même, mais de ce qu’elle avait été pour lui et qui, si cela ne pouvait changer, pouvait disparaître un jour de sa mémoire comme de celle du vieil homme qu’il n’était pas encore, mais qui ce soir à l’oreille, et comme depuis l’avenir, lui parlait.-

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– depuis quelques mois il écrivait des lettres. il y avait que le mot tracé prenait vie, ou plutôt, il reléguait la « frappe » à une chose dépourvue de senteur et de chair. il lui semblait alors dire d’autres choses alors même qu’il ne disait rien. c’était un état d’âme, une idée, une description des soleils d’ici, rien, en fait, mais tout cela passait par la main, le corps, le mot mal formé et que l’autre ne comprendrait pas, tenterait de déchiffrer, abandonnerait. il inventait l’eau tiède et y prenait plaisir, imaginant le papier voyageant, le sachant se perdant entre la France et la Grèce, ou retournant, filant jusqu’à sa Normandie natale. peut-être, rien de ce que contenaient les lettres ne comptait-il vraiment. mais pour la première fois depuis longtemps, il avait véritablement l’impression de s’adresser. il se disait aux autres et, par la main, à eux se donnait, un peu.-

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– il y avait, incrustée dans les pages de certains livres, une lumière, qu’il ne lui été pas donné de saisir, comme un coffre offert sans la clef ou le code qui permettrait d’en dévoiler le contenu. mais le coffre en lui-même, ouvragé dans un bois à l’odeur savoureuse et piquante, ne comptait pensait-il que pour le coffre. il pouvait être vide, il pouvait être lourd. cette même lumière, il l’avait retrouvée ce matin-là, au milieu des moustiques. elle flottait sur le ruisseau et lui, d’où il était, ne pouvait rien en faire. il ne pouvait, agitant sa rame à la surface de l’eau, que la traverser, s’y baigner, la laisser dorer son corps froid. du livre aux rives de ce petit cours d’eau, alors, il avait compris que naviguait la lumière, et qu’elle ne souffrait que de se laisser constater, puis disparaître. –

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© photo Lila Ekru, pexels.

Maxence Amiel

Maxence Amiel

Né en Normandie, Maxence Amiel a suivi des études de lettres modernes et de théâtrologie. Un temps libraire, il partage aujourd'hui son activité entre l'écriture et un emploi d’assistant d'édition. Il a publié un roman en 2019, Aux vibrants (éditions du Vistemboir) et trois recueils de poésie aux éditions de La Crypte. Son quatrième recueil, Par la fenêtre tardive, paraîtra en septembre 2023 aux éditions Aux Cailloux des Chemins (Bordeaux).

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