Aquarelle et encre de Jacqueline L’Hévéder
(…)
Et ton visage et ton corps, enclos sur ton travail, m’écrivent comme à partir du blanc de lange perdu de la toile. D’un mot, d’un signe, tu me fais soudain faire quelques mouvements simples : je danse, je nage, je sombre ; ainsi je ne disparais pas dans l’immobilité ; je respire chaque fois autrement. Je ne perds rien de ta silhouette ramassée sur ton geste, sur le pinceau, qui, sans relâche, joue à me capturer et à me délivrer, rien de tes yeux froncés- une ligne qui étincelle -, des gouttes de sueur au bord de ta lèvre ; j’accepte le tabouret, l’attente, je tiens l’attente comme un mât ; j’accepte cette fenêtre soudain glaciale qui s’ouvre dans mon thorax sur du ciel.
Et maintenant tu me donnes à voir ; tu m’as fait naître de toi trois fois : la première, tu m’as prescrit ma prostration, ce fœtal repli contre les flots du dedans qui criblaient mes oreilles sans que j’ose les fréquenter ; une seconde fois, je suis cible assise : voici l’homme mains ouvertes ; comment puis-je à la fois être si rouge et si frêle ? Quelle pâleur dedans pour faire surgir de ma vie cette rage de rouge ? Ma vie grise de Fils. Tu l’as vue.
La troisième fois, la dernière, je suis sorti par la toile, une voile tendue entre mes bras ; écarté de moi-même, perméable, un marcheur sur l’eau. Qui es-tu, jeune femme, tueuse d’un jeune vieux, matrice inattendue d’un humain qui m’effraye et m’éveille, de sa nudité confiante ?
Je vois aussi ton visage clair ; tu as ce que tu voulais.
Je vais quitter mon île, mon archipel nuageux ; vidé, neuf, payé d’un sourire et de la petite somme convenue, que j’ai cependant laissée sur la table ; séparé dans le tissu peint, caréné sur le bois, sèche le passage inachevé de ce frère mutique et fâché, dont nous avons bu cul sec, toi puis moi, le vieux sang placentaire, comme du lait.
Peut-être me rappelleras-tu avant que je prenne la mer.